Histoires autour de la Folie

La préparation du documentaire date de 1988 jusqu’en 1991 à l’ancien asile et maison de santé, actuel hôpital psychiatrique de Ville Evrard en Seine Saint Denis, proche de Paris. 120 heures d’entretiens préalables, la majorité sans caméra, un an de préparation. 

Des premiers entretiens sont filmés en Hi8, vidéo de l’époque de qualité basse, peut être les derniers entretiens filmés avec d’anciens gardiens d’asile, devenus ensuite infirmiers psychiatriques.

Un premier tournage en 1991 grâce à un mécénat – Jean René de Fleurieu – puis le tournage début 1992 en coproduction avec France 3, l’aide d’Agnès Troublé, Agnès Godard à la photographie.

Ce film constitue le départ de nos réalisations. Il est aussi le lieu d’où partent ensuite les trois films suivants, les patients malades du Sida se retrouvant à cette époque fréquemment en psychiatrie.

Le film est produit par la l’émission « OCÉANIQUES » de Pierre André Boutang. Océaniques disparaissant, le film devait être diffusé en télévision, mais monté en long métrage, il sort en 1994 distribué par Documentaires sur Grand Écran, qui le présente l’année suivante à Cannes.

Il sera diffusé sur France 3 trois ans, programmé plusieurs fois sur PLANÈTE.

Le film restitue une part vivante de ce qui a été un univers concentrationnaire asilaire et ses suites, qui dépasse sans doute dans son exemple et modèle, le cadre français.

 

HISTOIRES AUTOUR DE LA FOLIE – parties 1 et 2

https://vimeo.com/293155705/

https://vimeo.com/293159665/

 

COPIE DE TRAVAIL sur l’encours montage du film (environ 6 heures)

https://vimeo.com/266082709

https://vimeo.com/266082749

https://vimeo.com/266082820

https://vimeo.com/266082872

 

MÉMOIRES D’ASILE – version diffusée sur Arte « GRAND FORMAT » en 1994, concentrée sur l’asile.

https://vimeo.com/264927195

 

ENTRETIEN AVEC PAULE MUXEL ET BERTRAND DE SOLLIERS – LE MONDE DIPLOMATIQUE – propos recueillis en 1993 par Carlos Pardo

Quelle est l’histoire de HISTOIRES AUTOUR DE LA FOLIE? Comment est né ce projet ?

PAULE MUXEL : Il est né suite à un petit film que nous avons réalisé lors d’un colloque en la santé mentale organisé par la MIRE (une mission interministérielle du Ministère de la Santé) en 1988.

Nous filmions tous ces personnes qui parlaient de la folie, des rapports des uns avec les autres, les infirmiers, les psychiatres, des eth­nologues, toute sorte de gens, c’était très animé et l’occasion de regarder pour la première fois « San Clemente ». Sur la fin nous avons demandé de nous rendre compte des lieux réels. On nous a indiqué Ville-Evrard. On y est allé avec notre petite caméra… En découvrant ce lieu, on a pris con­science d’une mémoire enfouie considérable, de tout ce passé au départ fort émotionnel. On sentait que ça appartenait à un autre monde, en dehors de la société.

De là, on a eu envie de comprendre, voir, observer. Plonger, faire un itinéraire dans cet univers que l’on ne connaissait pas.

BERTRAND DE SOLLIERS : On ne comprenait rien à l’époque. Ce qui était très intrigant déjà, c’est le nombre de pavillons. Ça ressemblait à un village, un bourg même. La direction avec le drapeau français ressemblait à une mairie. Il y avait une cafétéria, des ateliers, des potagers, une ferme complète. On se demandait combien de personnes étaient passées dans ces pavillons. Une question d’ailleurs qui est restée sans réponse. Le calcul complet sur 120 ans n’a jamais été fait. Des historiens de la psychiatrie n’ont pas su nous répondre. On ne sait combien de personnes ont soit traversé ces lieux, soit sont restées sur de longs temps.

PM : Ils connaissent un peu le mouvement mais il n’y a pas de chiffres.

BS : Il y a eu aussi sans doute des milliers de personnes qui étaient ce que l’on appelle des “piliers d’asile”. Des gens qui n’en sont ressorti que morts. Qui y sont restés 30, 40 ou 50 ans. Dans les archives de Ville-Évrard, on retrouvait des gens qui avaient été soldats sous Napoléon. L’hôpital, ayant été ouvert deux ans avant Sainte-Anne, constituait dans le projet de Haussmann une couronne d’hôpitaux qui devaient être construits autour de Paris.

Il devait y en avoir 12, seulement 6 ont été construits en comptant Sainte-Anne. Le projet prévoyait d’entourer Paris d’asiles comme on les appelait alors dans ce qui était à l’époque un milieu complètement rural, loin de la ville.

PM : Il fallait renvoyer tous les malades en dehors de Paris.

BS : Quand l’hôpital de Ville Evrard ouvre en 1868, on y trouve des gens qui sont nés au début du XIXè siècle. Beaucoup de militaires notamment. Des liens étant évidemment en lien avec la misère et les guerres.

Avez-vous eu accès aux archives immédiatement ?

PM : Non, il s’est passé beaucoup de temps. On a travaillé avec des gens très différents. Il a fallu faire comprendre notre démarche. Ce sont des personnes pleines de réticences vis-à-vis de ceux qui viennent regarder. Comment va-t-on retourner la chose, va-t-on essentiellement se servir du spectaculaire, de l’horrible, ou va-t-on essayer d’avoir un regard plus attentif, sans jugement? Beaucoup d’échanges donc et une grande écoute de notre part, ce qui a entraîné une vraie confiance.

BS : On arrivait effectivement avec un magnétophone (DAT) qui pouvait enregistrer deux heures sans interruption, différent des bandes de l’époque, et on leur donnait tout le temps pour s’exprimer.

On revenait les voir. Comme c’était un effort qu’ils n’avaient jamais fait, ils se souvenaient de choses entre-temps. Ça finissait par se compléter d’un témoignage à l’autre. La mémoire resurgissait. Un travail de fourmi, très lent. Patient et passionnant.

Au départ, ces entretiens étaient-ils déjà destinés à devenir un film ?

PM : Oui, c’était déjà la préparation. On était assez modestes. Ne connaissant pas ces milieux, on avait la volonté de comprendre, de pénétrer ce monde.

BS : On a cherché à se documenter sur le sujet. Il y avait déjà eu des recherches. Des entretiens avaient été faits à Ville-Évrard il y a une dizaine d’années sur des cassettes mais n’étaient plus disponibles, disparues. On a cherché des livres mais il n’y avait pratiquement rien à part des ouvrages théoriques ou des ouvrages de sommités qui ne se penchaient pas sur les questions qui nous intéressaient.

Sur la question asilaire, les ouvrages importants ne venaient pas de France, mis à part Michel Foucault, mais c’est dans une démarche plus intellectuelle.

Des États-Unis, le plus intéressant était Erving Goffman. Il avait vécu trois ans à l’intérieur d’un asile américain pour écrire son livre (« Asiles » ed. de Minuit).

Ce qui nous enrichissait au bout d’un moment, c’était l’expérience personnelle et vécue des gens. On s’est appuyé sur cela, ce vécu pour commencer à construire un film. Et on n’a pas bougé.

Autant on allait à l’hôpital à 15 kilomètres de Paris en faisant un certain effort – c’est un lieu assez noir et fermé – autant on en revenait très enrichis d’expérience humaine.

PM: Pour en revenir aux archives, dans cette cave où tout est en désordre, éparpillé partout, il suffisait de se baisser et on trouvait une lettre d’un parent au directeur ou à un patient qui était enfermé là, qui datait du début du siècle…

BS : La mémoire vraiment enfouie. On ne voit dans le film qu’une partie des archives. Beaucoup de dossiers étaient sortis entre temps. Mais ceux là n’avaient pas été touchés depuis très longtemps. Ces archives étaient totalement oubliées. Il y avait une ignorance totale de ce qui se passait là-dedans.

PM : On était en rapport avec l’intimité des gens, leurs drames, leurs souffrances.

Combien de temps ont duré ces entretiens ?

BS : Sur deux années, on peut dire qu’ils représentent un an de travail. On a rencontré environ 130 personnes.

Ça allait d’une fois à cinq fois pour la personne qu’on a vu le plus. Ça nous a amené à faire venir des gens de province également, des gens à la retraite. Ce n’est pas seulement l’histoire de Ville-Évrard qui nous intéressait, mais l’histoire des personnes. On a essayé de retrouver d’anciens patients qui avaient vécu “la grande période asilaire” qui s’est prolongée assez longtemps. Et d’un service à l’autre, l’expérience est très différente.

Les patients d’avant la seconde guerre mondiale avait disparu, décédés, seuls restaient quelques infirmiers et médecins.

Nous devions avoir un entretien enregistré avec le psychiatre d’Artaud, le docteur Ferdière, mais il est décédé une semaine avant le rendez-vous.

Des services nous ont ouvert les portes, beaucoup d’autres nous ont ignoré.

L’un des patients, André, avait l’interdiction de son médecin (médecin-chef de secteur) de nous parler. Du coup il nous suivait partout car il avait en fait beaucoup à dire, et on a enregistré par respect pour lui, son souhait, son histoire.

Il s’agit de la seule personne qui a été filmée off à cause de ce problème de ne pouvoir réaliser un entretien direct filmé.

PM : À travers notre trajet, malgré la confiance qui nous était accordée, à travers leur parole, on sentait l’enfermement qui existait.

Comment a été présenté le projet ? Y-avait-t il déjà cette idée de chronologie…

BS : Il y avait bien l’envie de travailler à partir de propos personnels et de refuser toute généralisation. Mais le projet lui-même a évolué. Au départ, on s’est intéressé aux soins. Mais ça n’apparaît plus tellement dans le film. Au fur et à mesure, c’est devenu un travail sur le rapport à l’autre. La question de l’autre.

PM : Pas uniquement la parole de l’un plus que l’autre. Il y avait bien “histoires” autour de ça. Il n’y avait pas la grande histoire de la psychiatrie. Essentiellement, la question de la différence. Comment on est, comment on pense, comment on réagit face à la différence. Question fondamentale posée à tout le monde : les pa­tients, les psychiatres, les infirmiers, les psychologues, les administratifs, les jardiniers… Ça devenait le centre du film parce que le centre de nos préoccupations.

Vous n’avez jamais eu l’idée de toutes façons de faire un film sur l’ensemble de ces hôpitaux de la région parisienne ?

PM : Si. A un moment, Bertrand en a eu envie. Mais si on voulait voir la question de l’autre dans chaque lieu, c’était alors un travail sur dix ans!

BS : Lorsque la direction de l’hôpital a changé en cours de tournage, le nouveau directeur a mis beaucoup de temps à accepter que le film se fasse – il est resté huit mois sans donner de réponse. Ça l’a mis dans des états extrêmement furieux. Je relèverai juste une de ses réflexions, il a dit : “Vous n’allez pas me faire un Auschwitz!”…

Il se comportait comme s’il était responsable de tous les actes précédents. Il voulait que l’on parle du présent et dans des termes assez approbateurs mais surtout pas que l’on parle du passé qui lui faisait très peur.

Cette référence était assez déplacée mais si un « Auschwitz » asilaire il y avait eu, ce n’était pas nous qui l’aurions créé.

Il avait ne idée lui-même de ce que cela pouvait être et c’est comme cela que peut démarrer une image déloyale des réalités.

Et c’est grâce aux médecins et aux infirmiers qui ont compris notre démarche et ont réussi à le convaincre que le travail a pu progresser.

On peut même dire qu’au départ, il y a eu une réaction des médecins disons les plus “évolués”, qui nous ont dit : “Qu’allez-vous faire de Notre histoire? Elle nous appartient.” À la limite, c’était quelque chose à ne pas toucher.

C’était “Qui êtes-vous, vous qui venez du dehors et qu’allez-vous dire?”

PM : Et puis ils ont compris que c’était intéressant d’avoir quelqu’un qui venait de l’extérieur car ils avaient non pas une histoire qui se faisait de l’intérieur mais une histoire qui se regardait de l’extérieur.

La remarque de ce directeur n’était donc pas innocente. Dans le film, certaines personnes parlent également de camp de concentration pour désigner l’hôpital pendant la guerre.

PM : Oui, on l’a rencontré sans jamais le chercher. C’est venu en parlant avec les gens, c’étaient des mots qu’ils avaient envie de dire.

BS : C’était à la fois le camp, parce que fermé, et de concentration parce qu’il y a toujours eu une grande affluence de gens dans ces endroits.

C’étaient des lieux où l’on construisait des bâtiments tous les dix ou vingt ans. Pour les remplir. On construisait des bâtiments supplémentaires pour suppléer.

Avant la sectorisation, avant 1968, il y a eu un projet d’un immense hôpital qui devait compléter les hôpitaux de Paris. Ça ne s’est pas fait parce que c’était 68.

À ce moment là, il y avait en tout à Ville-Évrard et Maison-Blanche 4000 patients. C’était assez considérable. Avec les gens les plus difficiles, les moins aimés, les sans famille, on faisait assez facilement des transferts dans des hôpitaux plus pauvres où il y avait moins de monde. Parce que ça ne désemplissait jamais.

Comment êtes-vous passés de l’étape des entretiens à celle du tournage ?

PM : Dès que nous avons été en accord avec les médecins puis avec la direction, nous avons obtenu l’autorisation de tournage.

Plusieurs patients que nous avions rencontré depuis plus d’un an, sur des mois, on avait eu tout le temps de leur parler.

S’il y avait eu problème cela serait venu de l’autorité.

Le directeur a tenu à mettre en place une commission à double titre : d’éthique, et scientifique.

Les psychiatres Lucien Bonnafé et Hélène Chaigneau en faisaient partie, tout à fait favorables.

BS : Si le travail était de longue haleine et qu’il fallait beaucoup parler, c’était parce que c’était un lieu de non-dits, d’interdits. Il y avait certaines règles à respecter notamment le silence sur ce qui se passait.

En même temps, certains d’entre eux étaient comme traumatisés par leurs expériences. Ils avaient confiance et allaient jusqu’à faire des confidences qu’ils n’avaient jamais faites auparavant. C’était très sensible. Il nous est arrivé de recevoir des coups de fils où l’on nous disait “je vais vous dire quelque chose que je n’ai même jamais dit à mon meilleur ami ou à ma femme.”

C’était parfois un peu dérisoire, mais pour eux c’était d’un poids très lourd.

PM : Je crois que les gens étaient très contents qu’on ne passe pas là rapidement, que l’on ne soit pas là pour voler quelque chose. Ce qui fait que lorsque l’on a commencé le film, on allait voir des gens que l’on connaissait déjà, des lieux que l’on avait déjà traversés, et on était dans un état de confiance et de complicité.

BS : On a toujours proposé une notion d’échange. “On travaille ensemble, en fait. Ce n’est pas que pour nous, il faut que les gens sachent ce qui s’est passé et ce que vous avez vécu.”

C’est une conscience partagée à partir d’une conscience personnelle. Tout n’était pas préparé d’avance cependant.

Il y a eu un premier tournage en super 16 grâce à l’intervention financière de Jean-René de Fleurieu qui a permis le démarrage réel, sans appui de télévision. On n’avait pas encore défini les structures d’un scénario, de trajet dans l’espace et de trajet dans le temps. Cette première étape de tournage nous a beaucoup aidé. Ville-Évrard étant très grand, 300 hectares, 60 bâtiments, qu’allions nous montrer ?

Malgré la parole, la complicité, on avait toujours l’impression de pénétrer dans un lieu continuellement fermé. Il restait toujours un blocage qu’il fallait forcer. Ça se refermait très vite même s’ils voulaient nous aider.

Combien de temps a duré le tournage ?

BS : 6 semaines en trois parties, aout 1991, février mars 1992. Il y a eu des pré-montages qui nous permettaient de sentir l’évolution. Lors du dernier tournage, on a obtenu des choses que l’on n’avait pas du tout auparavant, avec des patients notamment.

PM : Le seul luxe que nous ayons eu, c’était le temps. Si Bertrand ne s’était occupé de la production du film, il est évident que nous n’aurions jamais eu ce temps pour traiter ce sujet.

BS : C’est une production appropriée à ce projet. Un mélange de réflexion, de questions, d’espaces sensibles et intuitifs. Production totalement artisanale, hasardeuse, complexe, risquée. Si nous avions dû planifier un tournage dans ces lieux, nous nous serions totalement trompés. Et nous n’avons trouvé qu’un seul partenaire qui était à l’écoute : Pierre-André Boutang (à l’époque Océaniques). Une grande chance.

On a rencontré plusieurs producteurs indépendants qui nous ont fait perdre du temps. Avec eux, il était finalement toujours question de faire un petit film d’une heure, tourné en vidéo légère, avec une petite histoire assez formelle, assez conditionnée, conventionnelle, plus facilement normative.

Ce qui se fait usuellement. Un massacre à venir.

PM : On n’avait pas envie de cette image arrêtée de la folie. Où l’on voit l’homme fou à l’écran et il y est tellement fou, sans parole, sans ex­plication de cette folie, que le spectateur ne peut que se dire qu’il est fou et qu’il est bien là où il est.

Alors là ça arrête tout. Ça ne bouge jamais au niveau de la réflexion.

BS : On n’a pas filmé de gens en état de délire, mais les gens qu’on a rencontrés avaient aussi des moments difficiles, ils pouvaient entrer en crise.

Il y avait des parricides, des gens qui avaient tué, des gens qui pouvaient être dangereux mais capables de tenir des discours, parfois très cohérents sur le rapport à l’autre par exemple. Par le langage, par la parole, il était clair que nous étions les mêmes.

Certains des patients sont rapidement décédés ensuite dans les mois qui suivent.

PM : On sentait la barrière fragile de ces états. Comment nous, à des moments, on pouvait y basculer très facilement.

Vous parliez du temps que vous avez pris pour faire le film, du temps que certains producteurs imaginaient vous accorder, aviez-vous dès le départ l’idée de la durée finale du film ?

PM : Au début, on pensait à trois heures. C’était dans cette durée que ça pouvait exister. On a très vite compris que c’était une parole qu’on ne pouvait pas hacher, car dès qu’on la découpait, on la manipulait. Elle y perdait toute sa valeur, toute sa réalité, son au­thenticité. Dans cette volonté d’écoute et d’échange, ça devenait irremplaçable.

BS : Toute relation au niveau psychique demande du temps. Il est important de savoir que l’on peut prendre le temps d’exprimer ce que l’on comprend.

Que s’est-il passé ensuite?

BS : Boutang a vu l’ensemble du film. Mais il était très peu présent (il était dans la création de Arte). C’est sans doute une chance, on a été assez autonomes.

On a testé le film avec deux ou trois personnes dont Ignacio Ramonet. Ça a été assez favorable.

Nous étions très impliqués dans cet univers, ce qui explique que nous en ayons fait nous-mêmes le montage. Il y avait un sens moral de la direction à donner. Nous étions impliqués dans ce rapport à l’autre sur lequel nous avions travaillé.

PM: Ça nous a permis de faire le film que nous voulions.

Comment le film a-t-il été sélectionné au Festival du Cinéma du réel ?

PM : On a envoyé une cassette VHS au bureau du festival et on a eu la sur­prise d’être sélectionnés. Tout comme pour le Festival des Films du Monde de Montréal.

BS : C’est étonnant comment réagissent les gens à ce film. Pour cer­tains, c’est la multiforme qui est acceptée. Pour d’autres, si quelqu’un parle 8 minutes, c’est impossible. Ils se disent : “Une personne ne doit pas parler 8 minutes”.

Pour le film que l’on vient de faire à propos du Sida, un producteur nous dit : “Il faut équilibrer la parole de chacun”. Alors que nous, nous pensons que c’est la qualité des discours qui compte.

PM : Selon eux, même si la parole est moins intéressante, il faut la mettre pour donner un temps de parole égale à tous.

On a l’impression d’être aux élections avec le même temps de parole pour la propagande des partis.

BS : Oui, c’est ça. On aurait un temps déterminé selon le sujet.

PM : Tout est alors survolé. Tout devient très plat. La folie ou le Sida, ce sont des sujets qui délimitent bien de quoi il faut parler.

Les prix reçus au Festival du réel ont-ils changé quelque chose ?

BS : Ça nous a donné une estime. Sur le plan des idées, de la compréhension. C’est plus difficile sur le plan commercial. Ne serait-ce qu’au niveau des festivals, on nous dit par exemple à Marseille, pour le “Sunny Side of the Doc” : “On ne peut prendre votre film car il a déjà été primé.” Et ce festival montrait pourtant des films qui interrogeaient les extrêmes de la société. “Histoires” aurait pu convenir. Mais ils préféraient des films “neufs”… Il y a aussi la durée. Pour une chaîne publique comme France 3, bien que le film soit apprécié, il ne peut être diffusé car il n’y a pas de place dans les grilles de programme pour une telle durée – même en deux fois. Planète-câble l’a diffusé en quatre parties. La ZDF voudrait le passer sans coupures, en une seule fois. Mais apparemment, on recherche moins des objets de réflexion aujourd’hui. On recherche plus des magazines, des sujets courts. On se préoccupe plus du confort du téléspectateur que du contenu. Finalement, c’est une forme de censure.