Histoires autour de la folie 3 rushes suite

Rushs sonores des tournages du film

disponibilité des fichiers sur le site de la BNF sur demande

Il reste environ 80 h d’entretiens filmés, dont 35 h de film rushs à numériser en 2 ou 4 K

copie d’une copie de travail de 6 h en cours de montage en 1992 (en 4 parties) :

1  https://vimeo.com/266082709/

2  https://vimeo.com/266082749/

3  https://vimeo.com/266082820/

4  https://vimeo.com/266082872/

 

Préface de Guy Baillon, ancien chef de service à Ville Evrard (photographies de préparation &  tournage en fin de texte)

 » CONCLUSION qui pourrait être aussi INTRODUCTION, ce 31 Octobre 2019

Quelle chance m’a été donnée ! par Paule Muxel et Bertrand de Solliers, d’avoir à jeter un coup d’œil sur les noms des acteurs de la Psychiatrie filmés par eux en 1989-1992 et pour lesquels ils m’ont demandé un petit effort de mémoire afin de les situer concrètement dans la réalité de l’époque à l’Hôpital psychiatrique de Ville-Evrard !

J’étais alors, et depuis 1971, médecin chef d’un Secteur (le secteur 14 du 93). Le hasard a voulu que pour travailler ils me choisissent comme un de leurs nombreux conseillers. J’ai timidement accepté, ne me sentant pas mieux placé pour cela que d’autres, mais je n’ai pas refusé, vite intéressé par leur démarche. Filmer la psychiatrie m’apparaissait un défi extrême.

Mais comme j’étais à cette époque totalement engagé dans une pratique qui avec d’autres collègues et amis me paraissait déterminante pour arriver à « transformer une psychiatrie » qui paraissait si violente pour les malades en des formes et espaces de soin au moins plus humains, je pensais aussi que c’était une opportunité pour arriver à la faire connaitre.

Quand à « l’histoire » de la psychiatrie, qui me semblait être l’objet des cinéastes, aucun d’entre nous n’aurait pu se douter que ce film accompagnait l’acmé de la plus grande transformation (révolution) qu’allait vivre la Psychiatrie depuis sa naissance.

Il sera passionnant de remarquer aussi que la description d’un moment d’histoire va dépendre du choix que ces observateurs vont opérer pour réaliser cette histoire. C’est l’une des leçons que j’ai tiré des travaux de Boucheron avec son « Histoire mondiale de la France » illustrée par ses regards préférentiels, non sur des grans moments classiques, des guerres, des couronnements, … mais sur des faits quotidiens ou des évènements soit disant, de second rang, donnant ainsi une toute autre lumière sur l’histoire permettant aussi de discuter les liens entre eux.

C’est ce qui se passe pour tous les tentatives historiques faites sur la psychiatrie, et nous allons voir la grande force que représente l’outil choisi ici pour saisir cette histoire : le choix de faire un film. En effet pour le réaliser, les auteurs ont fait plus d’une centaine de rushs, dont chacun me paraît d’une richesse d’évocation considérable. Ils en ont choisi certains seulement pour construire leur film, j’en aurai choisi aussi d’autres, etc, …

De ce fait cet effort aujourd’hui se montre d’une très grande richesse d’évocation, témoignant de la diversité de ce qui peut être choisi comme point de départ de l’histoire.

Il est essentiel de rester court donc ici, mais je suis tenté de plusieurs remarques, poussé moi-même par le souci de vouloir observer l’orientation que prend la psychiatrie actuelle, avec le même désir qu’autrefois, lever l’énigme de la folie et, la comprenant mieux, participer à la diminution des souffrances de l’homme.

Quelques remarques sur les grandes étapes de l’histoire générale et récente de la Psychiatrie en France. Je prends la liberté de m’appuyer sur d’autres ‘témoins’, ainsi le film sorti en octobre « Hors normes », à ne pas séparer du documentaire « Un pour un » (dans ce dernier les sujets filmés ne sont pas des acteurs, mais les personnes de la réalité, ce qui valide encore plus le film, l’Association filmée a d’ailleurs été le point de départ de l’inspiration de Hors normes).

Nous pouvons remarquer que l’histoire concrète de la psychiatrie en France a commencé par un double mouvement, les naissances de la psychiatrie et de la psychanalyse :

-la naissance de la psychiatrie correspond à l’entrée en scène en 1800 du premier psychiatre Pinel et son élève Esquirol, sans oublier Pussin, aide fidèle de Pinel, premier infirmier psychiatrique. Et il a fallu attendre les années 1868 pour que soient créés des espaces d’accueil inspirés par Esquirol, les « asiles » déployés rapidement sur toute la France, installant une psychiatrie très fermée sur elle-même qui allait d’abord suivre une évolution très organiciste, désignant des atteintes cérébrales comme étant leurs causes. Ces asiles représentaient la réponse sociale à cette folie qu’il fallait endiguer pour protéger d’abord la société dans son ensemble,

-il a fallu attendre un siècle pour qu’un homme, Sigmund Freud, venu écouter à Paris le neurologue Charcot et son hypnose, dévoile l’existence de l’inconscient, présent chez tout homme, fou ou non, expliquant nombre de ses troubles. C’était ici la réponse individuelle à la compréhension de la folie et à une élaboration de ses soins.

La convergence qui aurait dû avoir lieu entre ces deux courants complémentaires, individuel et social, n’a jamais été acceptée ni reconnue comme nécessaire par les responsables sociaux, mais a nourri de nombreuses expériences, et reste aujourd’hui une interrogation. Il n’est pas question de les confondre, mais on peut s’intéresser à ce qu’il est utile d’attendre de leur complémentarité.

De nombreux autres courants de pensées et d’action sont intervenus simultanément, mais de façon partielle (malgré le désir de chacun de leurs tenants de vouloir ‘rafler la mise’ et tout expliquer des maladies psychiques, puis de diriger seul les démarches thérapeutiques). Une volonté de pouvoir incessante de chacun d’eux a veillé jalousement sur cette évolution.

Prenons le temps d’une petite remarque : si nous rapprochons les débuts de la psychiatrie en 1800 du film Hors normes et son documentaire Un pour un. Nous avons la surprise d’assister dans ce film à un moment éblouissant et central du soin en psychiatrie : nous voyons divers malades adolescents et jeunes adultes ayant les troubles psychiques les plus lourds, l’autisme, personnes sans langage emmurés dans leur forteresse. Auprès d’eux arrivent d’autres adolescents et jeunes adultes sans troubles mais en perdition sociale, à la recherche désespérée d’un ancrage social grâce à un travail quelconque. Ici il leur est proposé de devenir éducateur spécialisé de ces personnes aux troubles psychiques sévères, ils n’ont pourtant aucune formation, aucune certitude autre que leur désarroi. Certes ils se retrouvent avec ces malades dans un cocon protégé par quelques encadrants expérimentés et généreux, les laissant seuls pendant des tranches de temps d’une journée, ‘un’ apprenti éducateur – pour ‘un’ ado malade.

Et s’opère là subtilement, devant la caméra, le miracle central de tout soin psychique : l’apprentissage mutuel que font deux adolescents perdus, en quête de contact pour l’un, en crainte de contact pour l’autre, qui font peu à peu connaissance, guidés par les seules émotions naissant en eux et entre eux. Va s’établir un début de communication, suivi du plaisir indicible qu’ils prennent chacun, plaisir qui les invite à continuer malgré leurs diverses réticences. Ils avancent jour après jour sans autre outil qu’eux-mêmes, mais vite avec des appuis naturels variés comme le dessin, le contact avec l’eau d’une piscine en mouvement, l’approche des chevaux, … et ce que leur imagination leur propose entre temps, cette imagination étant constamment mise à contribution.

Et la perle que nous découvrons, c’est qu’en rapprochant ces films et l’histoire de la psychiatrie, on voit que ce film met en évidence le même phénomène qui s’est déroulé par surprise il y a plus de 200 ans entre en première ligne du soin, Pussin, aide de Pinel, et progressivement un, puis plusieurs fous, hommes et femmes enchainés, dans les bas-fonds de l’Hôpital de Bicêtre. Pussin va faire les mêmes découvertes que les futurs éducateurs du film Un pour un. Nous voyons ensuite que les malades ainsi hors chaines vont à leur tour devenir des aides de Pinel, comme les éducateurs du film.

Peu ou prou, tous les soins profonds en psychiatrie puisent dans cette expérience, dans ce moment, dans cette succession de moments, de simple contact, qui représente le début du soin. Ceci sans autre projet que d’assumer une vraie présence à l’autre, clé essentielle d’une communication qui va se rétablir entre les différents acteurs autour de ces souffrances.

C’est certainement ce qu’attendaient sans le formuler Paule Muxel et Bertrand de Solliers en faisant leur film et espérant que leurs interlocuteurs le leur expliqueraient. En fait ceux-ci aussi étaient dans cette recherche. Aujourd’hui chaque rush constitue un point de départ pour notre propre quête, car chacun contient des ‘traces’ de cette expérience.

Aujourd’hui il est exceptionnel que des films soient réalisés sur des moments de soin réels (il est évident que l’on ne ‘verra’ jamais le documentaire d’une séance de psychothérapie).

Les films dans les institutions de soin ont été rarement aboutis, ils restent la plupart du temps très superficiels, sans jamais approcher l’intime du soin, avec son danger de verser dans un exhibitionnisme-voyeurisme, le contraire de tout soin.

Cependant un documentaire comme celui de nos cinéastes, en cours de diffusion, « Qu’est-ce que je fais là ? » (tourné à) l’Unité de Crise » des Cliniques St Luc à Bruxelles, dévoile clairement un temps de soin. C’est exceptionnel. Il montre le soin psychiatrique dans ses débuts, avec ses gestes d’accueil et le choix attentif des mots que font les soignants lors de ces moments précis du premier contact avec un nouveau patient, lequel d’ailleurs ne se pense pas malade. Ces soignants rencontrent ces patients lors de moments dits de crise, souvent appelés urgences psychiques. Sans le soutien d’aucun commentaire nous comprenons ce qui se déroule et ce qui permet à chaque patient de peu à peu nouer un lien et comprendre ‘ce qu’il fait là’ (sous-titre du film) alors qu’il venait de vivre une rupture confuse avec son environnement. Nous apprécions la qualité de l’enseignement considérable que ce film apporte pour de nouveaux soignants, tout aussi bien que pour l’information du grand public. Certes n’est pas précisée la complexité de la formation préalable de ces soignants. C’est un autre débat. Ce qui est redouté dans la réalisation de ces films, outre la question complexe de l’accord de chaque personne filmée, c’est de laisser croire « qu’il suffirait de copier ce qui est filmé » pour soigner. Pure illusion : ce qui soigne est seulement l’expérience concrète et renouvelée de liberté dans laquelle se trouve un soignant au moment présent pour accueillir l’autre et attendre qu’ainsi « porté », comme dit P Delion, psychiatre, l’autre advienne à sa vérité et à son désir de communiquer, à sa façon.

Ainsi ces rushs de 1988 à 1992, ne sont que l’interview individuel d’un certain nombre d’acteurs concrets de cette époque, sans même chercher à faire un lien entre eux. Nous ne voyons jamais de séquences de soin, seulement certains espaces où ils se sont déroulés. Ces acteurs tout en répondant aux questions des cinéastes évoquent à leur façon leur vécu passé et actuel. Ce n’est là qu’une part de la réalité que nous avons envie de connaître.

Mais c’est une part en or, car ce sont ces multiples points de départ à partir desquels nous pouvons nous faire une idée de ce qu’a été la vie de ces hommes, de ces femmes, présents en psychiatrie dans ces années 80. Ces rushs deviennent ensuite la propriété de chaque spectateur, en ceci ils représentent exactement ces mêmes points de départ dont les acteurs successifs d’un soin vont avoir à se saisir, une réalité concrète lui évitant de se limiter à ‘imaginer’ dans le vide (ce qui est notre mouvement instinctif devant l’inconnu, en voulant nous sentir plus libres, mais avec cette seule imagination nous versons dans ‘l’illusion’, le pire des dangers pour le soin).

A mon sens ces rushs sont comme des tableaux de Maître décrivant un aspect de cette réalité.

Ce sera à chacun de nous de l’exploiter …

Pour terminer cette réflexion succincte sur l’histoire de la psychiatrie, ce que, ni nos cinéastes, ni nous-mêmes ne percevions à l’époque, c’est que ce film se saisissait là d’une époque charnière de cette histoire :

L’époque de l’acmé de la première révolution de la psychiatrie, époque a duré très longtemps : elle a commencé par

-1942-1945 une étape de gestation : les horreurs de la guerre, jusqu’à la mort lente par famine de 40.000 malades dans les hôpitaux psychiatriques parallèlement aux horreurs de l’Allemagne avant et pendant la guerre dans les camps de concentration. Ceux-ci ont mis en évidence leurs conséquences cachées sur les liens inter humains surgissant là, évoquant en retour ce qui se passait depuis toujours dans le silence des Asiles, jusqu’aux kapo. En contre point l’expérience de St Alban, d’un asile ouvrant ses portes a témoigné de la richesse relationnelle que ses malades ont trouvé en partageant la vie des paysans, hors les ‘murs’,

-1945-1960, étape de l’élaboration d’un nouveau projet de soin avec un groupe mixte, soignants- administrateurs, projet d’une psychiatrie humaine respectant l’homme et s’appuyant sur l’utilisation de ses capacités propres d’abord, plus qu’à des apports externes :

Une psychiatrie bâtie non sur l’exclusion sociale, mais au contraire sur leur ré-inclusion et leur intégration dans la Cité, s’appuyant sur les ressources humaines de ces divers citoyens et leur famille propre. Comme toujours le nom donné a été abstrait, ce qui n’a pas aidé à la transparence pour la suite : une « Politique de Secteur » associant soins à l’hôpital et dans la ville, regroupant soins et actions sociales. Le tout, d’une part en ciblant comme point de départ le lieu de vie de chaque patient (village, ville), et d’autre part en rassemblant des malades avec le souci des limites que chacun a pour établir des liens avec d’autres, donc proposant qu’un nombre des patients et de leur famille soit précisé pour la population d’un secteur (hypothèse lancée par Bonnafé interrogé par l’Administration ayant besoin de donnée concrète : 66.666,6 hab !-la virgule montrant le flou obligatoire-) et pour une unité de soin (pas plus de 20, la dimension maxima d’une famille).

C’est la tension entre les exigences des règles et capacités des citoyens d’un secteur et les besoins de soins de ses habitants qui allait permettre le développement de la psychiatrie, et non une organisation centrale extérieure qui aurait été aussitôt orwellienne, totalitaire,

-1960-1981, c’est enfin la première étape de la réalisation avec la diffusion ‘aléatoire’ de ces propositions dans l’ensemble de la France, éclairée par l’aspiration des acteurs à une liberté et une créativité, nées avec l’élan de 68 …

-1981-2005 : sa seconde étape, grâce à l’arrivée de la gauche au pouvoir, va établir un lien entre le Pouvoir et cette Politique, et permettre de commencer vraiment l’application à toute la France, mais une fois encore ceci ne va se réaliser que de façon variée, selon les sensibilités et l’engagement, la capacité de cohésion et d’harmonie des acteurs locaux : soignants, administrateurs, et citoyens.

D’où au total une diversité extrême des résultats de cette application, qui pour tous les observateurs extérieurs paraissent de l’ordre du scandale, avec sa conséquence d’une extrême gravité : la dévalorisation de la Politique de secteur dans l’opinion publique.

Ajoutons encore la difficulté suivante : le volet social de la psychiatrie de secteur qui s’était estompé sans crier gare à l’occasion d’une loi de 1970 passée inaperçue des soignants, mais appliquée par les Directeurs d’hôpitaux. Cette loi séparait Soins, et Action Sociale, et a limité l’évolution de la psychiatrie aux soins. Une vraie cohérence globale du projet n’a pu être rétablie, que par la loi de 2005 sur les ‘handicaps’, provoquée par la mobilisation des familles et des usagers, permettant la création de structures complémentaires dans le champ social pour les mêmes patients.

Aujourd’hui, et depuis ces années, en raison des critiques évoquées ici, la Politique de Secteur n’est plus restée le fil conducteur de l’ensemble de la psychiatrie, devenant objet de diverses convoitises, …

De plus d’autres facteurs ont participé à ce bouleversement : l’augmentation de la population et une moindre stigmatisation de la folie ont entrainé une augmentation de la demande de soins, au moment précis où les vagues de nomination des psychiatres déclenchées en 1981 par la prise de conscience des besoins à ce moment, s’est tarie, n’étant pas renouvelée par l’Etat, responsable de cette carence.

Une carence plus profonde apparaît là : l’absence de contrôle par aucune autorité des aléas de cette évolution. Ce contrôle aurait seul pu encadrer et limiter l’anarchie de son développement : il aurait fallu, et IL FAUDRA dans l’avenir, créer un Groupe de Vigilance National au Ministère de la Santé, attentif aux différentes étapes de la mise en place de cette Politique, obligeant l’Etat à réagir progressivement.

Ainsi cette « révolution » a duré un demi-siècle !

Aujourd’hui nous avons l’impression que tout va revenir à cet abandon progressif de la psychiatrie par l’Etat. Vont lui succéder le retour à l’exclusion des fous et la prescription de médicaments associée à celle de traitements comportementaux obligatoires …

Le grand intérêt de ce film et de ces rushs est d’être une authentique vision d’un moment précis de ce développement, un ‘arrêt sur image’ sur la réalité profondément mouvante qu’est et sera toujours la Psychiatrie.

Cette affirmation est rare.

La psychiatrie est une pratique à réinventer sans cesse, si elle veut vraiment tenir compte dans sa réalisation de la réalité ‘actuelle’ à chaque moment. Ce film montre le vécu de l’époque, avec ceci en plus : qu’aujourd’hui, semble t il, la certitude qu’à ce moment-là nous étions persuadés d’aller vers des jours meilleurs, tellement nous avions le souvenir de l’atrocité que la psychiatrie avait traversée peu avant.

D’où cette attente aujourd’hui, ‘que la psychiatrie renaisse’ : certes tout est à nouveau à inventer en tenant compte de tous les aspects actuels, économiques, scientifiques, démographiques, sociaux, et idéologiques… ceci sans le désir de recréer ce qui a existé un temps ici ou là. Comment aujourd’hui pouvons-nous mettre en évidence dans ce passé récent, foisonnant, varié, les richesses, les découvertes, les valeurs qui pourraient être remises en scène pour cet avenir ?

Tenir compte de tout l’existant pour reconstruire la Psychiatrie : il est alors essentiel de souligner aussi la violence que constituent la multiplicité d’affirmations de succès, chacune pensant tout expliquer sur la réalité des troubles psychiques. Ces difficultés apparaissent autour de deux données :

D’une part les mobilisations de telle ou telle catégorie d’acteurs dont les efforts sont, pour les uns positifs, pour les autres fortement négatifs :

-ainsi pendant toute une période (1995-2015) les patients qui pour se faire entendre se sont appelés « usagers » ont apporté un aspect nouveau très constructif grâce à la qualité de leur parole exprimée hors de la dépendance de leurs soignants et de leurs familles. Leur actuel silence est inacceptable, dû à leur fragilité pour maintenir le combat, leur parole libre est essentielle, à susciter à nouveau

-les Associations de familles dont la plus importante, l’UNAFAM, a eu une influence considérable, ensuite à la recherche de plus de pouvoir. Elle doit continuer au moins comme lanceur d’alerte. Par contre de petites associations ont fait preuve d’une violence destructrice contre la psychiatrie, mobilisées par quelques familles en particulier autour de l’autisme.

-les soignants. Leur mobilisation générale et commune aurait dû être leur objectif. Hélas beaucoup de psychiatres se sont mobilisés autour d’une certitude et continuent : d’abord ils affirment être entourés « d’ennemis ». Toutes les tendances de courants se succèdent alors à la barre d’un procès national pour se plaindre, avec cette conséquence redoutable, ils se considèrent ainsi comme « victimes », preuves à l’appui. Ils pensent que cela leur donne un statut supplémentaire qu’ils vivent comme inattaquable, celui de victime ! Ils se regroupent alors en ‘chapelles’ et s’y recroquevillent, au lieu de se confronter simplement aux autres courants et ainsi s’enrichir mutuellement. Oubliant au passage, la dure réalité : n’est-ce pas le patient d’abord, sa famille ensuite, qui souffrent ? Les difficultés des soignants sont celles que rencontre tout acteur social rencontrant des obstacles à son désir d’agir, mais ne peuvent se comparer ni se substituer à ces souffrances.

-les plus redoutables parmi les psychiatres sont ceux qui sont persuadés d’avoir acquis une ou plusieurs données, outils, produits, médicaments qui viendraient, ils en sont certains, « tout résoudre » en psychiatrie. Leur DESIR DE POUVOIR semble totalement absent de leur conscience, mais conduit toutes leurs actions et a tendance à obscurcir le paysage de la psychiatrie dans son ensemble. L’un des exemples actuels sont les revendications autour des médicaments, comme les polémiques autour de la psychanalyse. L’un et l’autre ayant une vraie place dans les soins, mais partielle.

D’autre part la peur qui surgit devant toute expression de la folie et qui spontanément réapparait dans la société, si facilement nourrie par des médias en soif de lecteurs. Elle sera toujours à éclairer pour chacun de ceux qui n’ont pas encore rencontré la folie. Souci de pédagogie permanente.

Voilà ! voilà la Psychiatrie à reconstruire, elle aura à tenir compte de l’ensemble de « la réalité » actuelle, et donc aussi de ces aspects imprévus mais constants.

Seules les tentatives de diffusion d’explication, d’informations, de pédagogie permettant de connaître la folie, de s’en approcher, de ne plus la redouter, et de continuer à vouloir comprendre l’homme, peuvent permettre une évolution réelle.

Sans oublier jamais la leçon de Pinel et Pussin, visible dans le film Hors normes et le documentaire Un pour un. Et son ineffable (pourtant grâce au film : elle est visible, on peut donc l’appréhender, prudemment). En même temps le film et les rushs prennent toute leur force évocatrice, comme des « tableaux de Maîtres », mais nous devons éviter de nous satisfaire de les ‘contempler’, et percevoir que chaque rush montre un moment, un aspect, d’une réalité qui « est constamment en train de changer », à l’insu même des acteurs : LA PSYCHIATRIE EST UNE REALITE EN DEVENIR, c’est une grande leçon de ces cinéastes.

Ceci confirme que l’avenir a fortiori est dans cette pâte à modeler qu’est la réalité actuelle, aspect de la pratique psychiatrique à partir de laquelle tout est à construire et reconstruire.

Quelques remarques enfin sur le déroulé du film et des rushs :

-commencer par la porcherie et par les archives nous surprend, mais est en fait révélateur d’un moment pathétique de l’histoire récente :

C’est grâce à cette grande porcherie et aux grands jardins potagers et champs de pomme de terre de son domaine que la famine n’a pas emporté les malades à Ville-Evrard, après avoir eu de grandes craintes. En témoignent dans le livre consacré à Paul Sivadon, les premières observations cliniques que les psychiatres ont fait sur les troubles que présentaient certains patients pendant des mois avant que l’on en comprenne la cause : la sous-nutrition. A notre étonnement ces troubles sont très progressifs.

La famine dans les Hôpitaux psychiatriques a été responsable de près de 40.000 morts.

La vie autarcique antérieure de l’Asile en a été renforcée. C’est ainsi que Ville-Evrard est devenu une ville qui devait faire face à tous les besoins des patients et des soignants présents. Cela a été aussi à l’origine d’une grande solidarité interne et d’une grande méfiance envers l’extérieur qui vont marquer l’histoire pendant longtemps.

La porcherie en était le dernier vestige.

Quand aux archives, selon le rush, elles étaient manifestement non entretenues. Pourtant elles rassemblaient les souvenirs officiels des mesures d’enfermement des patients successifs, et souvent même résumaient leur vie, avec les plus infimes détails, de leurs dépôts à l’entrée et des divers échanges qu’ils pouvaient obtenir ensuite.

Des vies entières, arrêtées, oubliées, le seul souvenir qu’il en restait, … était devenu un lambeau pour certains, …

Ce film a commencé à les ressusciter. Il n’est plus question de s’arrêter ! »

ombre

 

extraits

« le Fou est un Homme » de Lucien Bonnafé.

« Folie et Société, un écho permanent.

La complicité dans le rejet – le rejet dans le rejet. L’asile, enfermement et asile.

Un système qui vit sur lui-même

L’étrangeté en soi même … celui qui n’est pas Fou ne peut pas comprendre… »

« Tous les psychiatres passent leur vie à essayer de comprendre les Fous »… Gabriel Robbe, psychiatre, dans la seconde partie du film.

 

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photographies Paule Muxel Bertrand de Solliers © réalisées entre 1988 et 1992