Histoires autour de la folie rushes 1 – partie asilaire

 

Préparation du film « Histoires autour de la Folie » de 1988 à 1991 pour tournages 1991 1992

De la fin des asiles à une psychiatrie moderne

 

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Photographies de 1991: archives des patients, lettres de familles, documents de médecins, de l’Institution, déposés dans les sous sols et greniers de Ville Evrard (© de Solliers Muxel)

 

Préalable 

Rencontré en 1998, nous nous sommes arrêtés ensuite durant 3 ans dans l’ancien asile du département de la Seine « Ville-Evrard » parce que le lieu « humain » dans ses architectures de concentration de nombre lits possibles, nous parlait très fort. Nos entretiens préparatoires suivront de 1989 à 1992, date des tournages (1991, 1992). Le 1er tournage a été possible grâce au mécénat de Jean René de Fleurieu, la suite du film possible grâce à Pierre André Boutang pour Océaniques, France 3, les aides de Agnès b et Me Westendorp, et du laboratoire Sandoz.

« Ville-Evrard » concerne à son ouverture en 1868 la population de Paris, le département de la Seine. Au moment du tournage du film il est l’hôpital psychiatrique général du département de la Seine-Saint-Denis (93). 

Son espace sur 120 ha de terres réunies autour d’une sorte de « bourg » centré autour d’une église et d’une administration qui possède l’architecture d’une mairie, ressemble à un village. Différents grands bâtiments, dont ces immenses dortoirs où ont été « contenus » des milliers de gens pendant plus de 130 ans si on se base sur la date de notre rencontre -, rien que ces premières sensations qui partent du visuel nous ont interrogés dès le départ au point de revenir plusieurs fois sur une longue durée.

Pour nous ce sont différentes interrogations sur le passé, la mémoire et le sens de la période contemporaine qui en découle et nous interroge alors, qui nous ont tenus sincèrement accrochés au fil des rencontres successives.

Celles-ci nous ont permis d’aborder lentement une histoire en rapport avec les mœurs, la lente évolution des mentalités, des liens, des rapports, des soins et des échanges patients – soignants, sans cesse contestés, dans un lieu au départ conçu seulement pour « l’enfermement des fous », « loin de la capitale » (les « aliénés » dans « l’asile »). Avec pour danger, un « isolement susceptible de submerger les conduites au point de créer un système de bas-fonds du type renfermerie-garderie, d’une isolation chronique et pathologique en soi, des patients ».

Pour revenir à notre démarche à la fois inattendue que ce soit pour nous-mêmes ou ceux que nous rencontrions (nous étions totalement extérieurs à l’institution), dès le départ nous avons tenté d’ébaucher des repères correspondant à nos propres questions, puisque venus de l’extérieur, sans aucun lien médical ou pathologique apparent avec le milieu traversé. Mais si proches en même temps.

Ce lieu coercitif « éclatait » donc très vite d’interrogations. D’abord parce qu’assez saisissant en lui-même : au début destiné à vivre totalement fermé et coupé du monde, au point qu’une certaine autarcie y était active, car, par exemple, sur le plan pratique on y fabriquait même l’électricité, le pain, les chaussures… un lieu presque autonome (si ce n’est le cadre législatif et financier national qui en fonde l’origine), une folie organisée à deux pas d’une ville majeure, la capitale de la France.

Parce que, très vite aussi, nous avons appris que ce grand hôpital était l’un des cent hôpitaux en France conçu sur le même modèle au 19-ème siècle, fruit des utopies de soins en santé mentale datant de débats à l’époque de la Révolution Française.

Que, par ailleurs, ces modèles se retrouvaient – ou des modèles proches – en Europe, en Amérique du Nord. Que, d’une certaine façon, on ne savait sans doute pas faire autrement partout où la culture occidentale avait pu organiser et installer ce type d’institutions[1]. Un des médecins phares de l’époque des années 60 à Ville Evrard, professait sa doctrine dans plusieurs pays d’Amérique latine. Lacan y avait étudié son premier cas, de grands témoins s’y étaient succédé dont Lucien Bonnafé l’un des représentants majeurs de la désaliénisation après guerre (etc).

Explorateurs du dehors, nous avons commencé nos démarches d’enregistrement de sons et d’images au gré aléatoire des rencontres, celles qui s’avéraient d’abord possibles tout en suivant ce qui nous poussait à apprendre, à comprendre. Une lgique de rencontres s’est mise en place, entre le possible, le nécessaire, le paramètre du temps aussi puisque les anciens disparaissaient (le psychiatre d’Artaud venait juste de mourir…) Aussi, nous avons fait le choix d’essayer d’abord de rencontrer les plus âgés, ceux les plus susceptibles de disparaître, sorte de lutte contre la montre et travail de mémoire.

Les portes s’ouvraient et se fermaient selon les services. Une majorité d’infirmiers avaient un besoin (révélateur ?) quasi urgent de prendre la parole, en fait ceux qui faisaient majoritairement le travail quotidien, ceux qui permettaient les liens entre patients et médecins. Et c’est grâce à eux que nous avons pu lentement pénétrer dans certains services, les plus ouverts au changement, au dialogue, et gagner la confiance des médecins dont c’était en fait le « territoire », et qui ont compris notre démarche pour un rand nombre, et aussi celle des patients qui vivaient là parfois depuis après guerre.

Par la suite, au fil du temps, très vite il a été déterminant de ne pas faire l’essai de suivre et reconstituer à travers ces rencontres dans et en dehors de l’hôpital (nous allons aussi à Sainte Anne et Charenton) « une histoire de la psychiatrie » ou des pathologies. Ni une histoire « historique » ou institutionnelle (de toute façon ces aspects se croisent en permanence dans les rencontres).

Le projet était différent. Le projet a été de suivre la vie même des gens qui y avaient vécu, qui y vivaient, avec une question essentielle sous-jacente à nos entretiens : comment se comporte-t’on devant « l’autre différent », l’autre dans la difficulté, l’autre au bord de l’extrême, au bout de lui-même.

Cet « autre » si différent, si loin et si proche.

Cette interrogation préoccupante devient particulièrement présente dans un lieu fermé, même si elle se pose tout autant à l’extérieur. De notre point de vue, elle est majeure et intemporelle.

[1] Voir l’essai de Erving Goffmann « Asiles » (usa) paru chez Minuit ainsi que le film de Frederic Wiseman « Titicut Follies » où abondent des situations similaires.

Le film « HISTOIRES DE LA FOLIE » correspond à ce moment passage – clé qui voit les Asiles après la seconde guerre mondiale devenir des Hôpitaux psychiatriques spécialisés, pour s’ouvrir par la suite sur la Sectorisation, la mise en place de « Secteurs », une psychiatrie «moderne».

Entre 1988 et 1992, nous avons pu réunir différents témoignages sur ces mouvements fréquemment remis en question.

L’Institution asilaire, l’Asile de « Ville Evrard » est inauguré en 1868, deux ans avant la guerre de 1870.
Dans la Région Parisienne il y avait six grands asiles qui récupéraient des personnes regroupées à l’hôpital Sainte Anne qui les centralisaient depuis Paris. 12 étaient prévus.

À Ville Evrard, dans les années 1950, il y a eu jusqu’à 2000 patients. Une situation identique s’est trouvée à l’hôpital « Maison Blanche » construit sur le territoire de Ville Evrard au début du 20ème siècle.

Des réseaux de transferts de malades étaient fréquents avec les autres départements, d’un asile à l’autre, où il n’y avait pas assez de « lits » (de malades), définissant toute une économie dont la portée de l’ombre était la misère. Systématiquement les plus démunis, les plus handicapés étaient « déplacés ».

Le changement progressif dans les Asiles correspond à la volonté particulière de quelques psychiatres comme Lucien Bonnafé, mais aussi à l’arrivée des premiers traitements neuroleptiques.
Il ne s’agit pas d’une situation fixe, d’après la seconde guerre mondiale, car certains ont aussi essayé de modifier les règles en cours destinés à perdurer sans aucun changement.
Nous avons pu rencontrer les derniers infirmiers qui ont vécu cette époque à cheval sur ces changements fondamentaux qui prenaient source des décennies auparavant.

Ces  » Mémoires de la Folie  » représentent aussi un témoignage sur la proche banlieue parisienne qui se transforme pour se modifier totalement.

Ville Evrard est l’hôpital où a été internée entre autres Camille Claudel avant son déplacement, Antonin Artaud avant son séjour à Rodez, Hervé Bazin, Clovis Trouille… Edouard Herriot et Louis Renault passagèrement pour des raisons politiques.

La préparation du film s’est déroulée sur plusieurs mois avec de multiples rencontres au départ filmées sur un support vidéo de l’époque très fragile, le Hi8, support abandonné pour enregistrer la préparation en son numérique (DAT). Nous avons tourné ensuite sur support film en 2011. Le tournage principal a été réalisé en trois semaines en 1992.
L’ensemble qui concerne ce film a commencé en 1988 pour être terminé début 1993.
Sa préparation constitue le départ de notre engagement documentaire.

Quand nous sommes entrés à Ville Evrard, nous avons découvert et surtout écouté à notre rythme, partant d’une ignorance naturelle vers un ensemble qui se parlait tout seul individuellement et collectivement, une suite d’états entre l’interdiction, le caché (les asiles dans la tête ont leurs murs), une expérience des souffrances humaines psychiques qui viennent du profond, des limites de tolérance de la Société, au combien variables et selon.

Ouvrant d’abord les oreilles et ensuite les yeux.

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Première partie constituée des témoignages d’anciens infirmiers, infirmières, médecins

PREMIÈRES RENCONTRES ET CE QUI SUIT

  • Au départ il y a eu une rencontre due à un hasard, mais est-ce un hasard ou l’opportunité de filmer en mars 1988 un colloque scientifique pluridisciplinaire à Paris organisé par la Mission Interministérielle Recherche Expérimentation (MIRE) dont l’objet de la réunion sur trois jours était… . Nous ne nous étendrons pas sur l’intérêt ou pas de cette démarche, filmer une parole figée, détachée de son objet, car il ne s’agissait que de débats entre différents praticiens et chercheurs, théoriciens. Je veux dire par là que nous étions « coupés » de la base, il n’y avait ni infirmiers du côté des thérapeutes, et, bien entendu, encore moins de patients. D’autre part, nous nous trouvions comme débarqués dans cet univers de spécialistes, n’ayant aucun lien direct quel qu’il soit avec le nouveau milieu où nous nous confrontions.
  • Ce colloque avait une résonance européenne. S’y croisaient des personnes venues de lieux lointains divers dans une ambiance chaleureuse, multi différentielle. Comme repères, par exemple, on abordait les expériences de Basaglia en Italie (un univers filmé par Depardon dans San Clemente).
  • De l’absence des personnes concernées et la méconnaissance des lieux à partir desquels s’engageaient un certain nombre de discours, cet ensemble nous a donné envie d’aller voir de quoi il s’agissait. On nous a indiqué l’hôpital de Ville-Evrard à 15 kilomètres de Paris, comme lieu représentatif à la fois d’un projet de grand hôpital issu des réflexions des aliénistes des décennies précédentes, ce dernier ayant ouvert ses portes en 1868. Le lieu étant aussi un des plus grands du territoire (installé sur 120 ha, hier la campagne, aujourd’hui totalement englobé dans la grande banlieue de Seine St Denis, pratiquement déserté de tous les services suite à 30 ans de sectrorisation).
  • La rencontre des lieux en juin 1988 s’est faite un après-midi de plein soleil. L’hôpital nous a paru peu occupé, peu de personnes circulaient par rapport à la taille et au nombre des bâtiments. Ce lieu nous a fait tout de suite penser à un village, avec son église et sa mairie, des petits commerces. Il y avait une ambiance de campagne chaleureuse, des vaches passaient sur la grande allée, on ne savait pas bien vraiment où l’on était.
  • C’est la taille des bâtiments au début qui a suscité l’envie de savoir, de comprendre quel nombre de personnes avaient pu traverser au fil du temps ces lieux. Cette première approche nous a plus ému lorsqu’un homme des services nous a fait visiter les bâtiments de l’ancien Asile et de l’ancienne Maison de Santé, vides, avec de traces de vie, remplis de dessins, posters des années 70, pots de fleurs, vieux fauteuils ou mobiliers de cuisine rabougris, papiers peints usés datés.
  • Les différentes structures des lieux commençaient à parler. La résonance de ces anciens lieux d’enfermement et tous les contenus, surtout ceux présupposés, les préjugés, commençaient à influencer notre regard, nos réflexions. D’autant plus qu’on apprenait que Camille Claudel a été internée dans cette maison de santé payante par sa mère ; Artaud dans l’Asile qui le jouxte à côté « dans la paille » comme le rappelle l’ancien désaliéniste le psychiatre Lucien Bonnafé.
  • Je crois que nous nous sommes rapidement rendu compte d’un enjeu fondamental suscité principalement par la taille conséquente des lieux, donc du nombre de gens qui y avaient été enfermés. Ce départ a provoqué ensuite l’envie d’aller plus loin. Je crois que nous nous le sommes dit chacun en nous-mêmes intérieurement, puis ensemble.
  • Les mois suivants, nous avons commencé à monter le petit film commandé par la MIRE. De retour sur les lieux pour en savoir plus, lors d’un rendez-vous pris avec Maurice MALLET et Gilbert LÉON de la Société de Recherches Historiques en Psychiatrie située dans l’hôpital, finalement nous nous sommes engagés à avancer dans cette pénombre où tant d’histoires sur l’enfermement s’étaient croisées et se croisaient encore. Croisements en rapport direct avec l’histoire de la société française (cette construction est l’un des maillons de la restructuration de Paris par Haussmann) mais qui dépasse la Région Parisienne car elle a, pour différentes raisons, plusieurs résonances avec le fonctionnement des hôpitaux de la Folie sur le plan national, avec aussi toute une influence internationale…
  • L’histoire, les histoires, semblaient vouloir éclater de multiples parts, et dans tous les sens. Un lieu riche de l’expérience humaine des autres, que nous avons essayé d’interroger d’abord en se concentrant sur la mémoire. Mais qui éclate très vite de sens sur la façon dont se structurent les diverses formes de vie institutionnelles, collectives, personnelles, quand on est face à l’étrangeté de l’Autre, quand il devient impossible voir insupportable de l’accepter dans sa différence. Une leçon magistrale sur l’interprétation de la folie, sur la tolérance.

Rushes audios et vidéo HI 8 mm de la préparation du film (Paule Muxel Bertrand de Solliers © 1989 1992) en cours de dépot pour consultations à la BNF

1 – fermeture de la Porcherie de l’asile de Ville Evrard (1ère rencontre du film, une petite caméra à l’époque. Nous réalisons quelques entretiens avec cette caméra, vite abandonnée du fait de la basse qualité des images, suivi d’entretiens uniquement enregistrés en DAT)

  • 14 décembre 1989, un matin avec du givre. La porcherie de l’hôpital doit fermer et nous n’avons pas au départ pris de décision particulière, à savoir où aller, les lieux sont immenses.
  • Nous nous approchons de trois grands bâtiments longilignes, disposés en parallèle. L’herbe est haute, parfois couchée, il y a un certain temps que ce n’est plus entretenu.
  • Des petits wagonnets totalement rouillés sont bloqués dans les touffes d’herbes. Des rails « enfoncent dans un des bâtiments. Nous entrons dans celui-ci avec ceux qui ont été les derniers ouvriers s’occuper des lieux.
  • À l’extérieur, comme une lande, des hectares de champs, prés, abandonnés, au milieu, comme ça, à l’Est, en grande banlieue, en bordure d’une grande route passante, mais caché par le parc de Ville-Évrard.
  • Tout autour de ce grand espace, un réseau routier dense, le RER, des supermarchés, des Cités, des centaines de petits pavillons, Neuilly-Plaisance, Neuilly-sur-Marne, Gagny, Chelles, Noisy-le-Grand.
  • Et sur plusieurs mois nous n’avons cessé de revenir …
  • À la lisière des champs, côté Ouest, un grand réservoir d’eau, ancien, un mur, celui du parc de Ville-Évrard, faisant partie de l’enceinte actuelle, fermée, de l’hôpital.
  • Très vite la conversation et celles qui vont suivre se font à bâtons rompus, au feeling, ou suivant des associations. Nous avons aussi pris volontairement l’habitude d’ouvrir le champ des questions, ou de revenir parfois sur les mêmes questions. Beaucoup de références, investigations, sinon simplement de la curiosité, faisaient que ces conversations sans limites de temps, nous n’étions jamais pressés de terminer, nous jamais fait sentir qu’on s’ennuyait ou qu’il fallait rentrer, du moins dans une majorité de cas se sont produits ainsi.
  • D’autre part il faut parler de notre ignorance des faits, des usages, des comportements, à la fois dans le temps et sur le moment. Nous venions de l’extérieur. Aucune de nos expériences personnelles précédentes ne nous avait fait approcher ou donner renvie d’approcher un lieu comme cet hôpital de Ville-Évrard. Nous ne savions rien ou presque rien ; et cela a permis sans doute une envie forte d’apprendre, d’écouter. Nous ne savions que quelques bribes récoltées suite à cette première conversation précédente avec les deux infirmiers de la SEHREP, conversation qui a aussi déterminé notre envie d’entreprendre cette traversée.
  • Janvier 1990. Un autre lieu, cette fois inclus dans l’enceinte de l’hôpital de Ville-Évrard. Plusieurs bâtiments, un grand pré boueux presque à l’abandon : la « nursery » des cochons. Elle était installée face aux six pavillons de l’Asile des « hommes ». Nous y avons vu les dernières truies et leurs petits. Auparavant, la production était continue.
  • Dans ce lieu, à peu près à la même époque, un homme, un patient, était dévolu à l’entretien de l’élevage des cochons. Il était toujours présent et nous a montré son coin où il soignait lapins, chat et chien.
  • Ces animaux vivaient près lui et ils étaient visiblement sa principale compagnie, il les aimait. C’était son lieu de vie, son petit bout du monde. Il ne semblait pas avoir d’autre vie, ni d’autre plaisir.
  • Quelques mois plus tard, nous avons appris que cet homme fut envoyé (comme bien d’autres, on le verra ensuite, de tous les temps) dans un lieu lointain, hôpital ou maison de retraite, nous ne le savons pas. Nous ne savons pas si on lui a demandé son accord. Les animaux qu’il soignait sont restés à Ville-Évrard.
  • Ces « départs » inopinés certains infirmiers les nommeront « déportations » car il y avait parfois tout un groupe qui partait. Ces départs ont souvent été la source du dépérissement de malades ballottés au gré de décisions extérieurs qui leur échappait. Certains infirmiers disent que parfois ils en sont morts.
  • Janvier 1990. Première rencontre avec un infirmier. Celui-ci est à la retraite. Il a accepté de venir. Pour nous, c’est vraiment un début. Nous nous découvrons.
  • Dans notre recherche au départ, et puisque projetant un travail sur l’écoulement du temps -, nous avons contacté les anciens, et plus au départ, des infirmiers ; ces derniers ont peut-être été à l’origine de notre démarche les plus sensibles à ce travail sur la mémoire et aux implications qu’ils en devinaient.

Les notes en italique sont  de Guy Baillon, médecin psychiatre, l’un des chefs de Secteur à l’époque du film.

900108 André Roumieux 900117, infirmier, ancien gardien d’asile

« André ROUMIEUX, infirmier à VE avant même le CTRS (le service d’Hélène Chaigneau, créé par Paul Sivadon), était cadre infirmier (à confirmer par D) du pavillon fermé du service, le 4, lors de mon année d’internat dans ce service, 1967-1968.

J’avais ‘arraché’ ce stage en fin d’internat, car il était très recherché, et seuls les bien nommés au concours pouvaient y accéder (j’avais été avant à Maison Blanche, à Ste Anne et dans le XIII de Paumelle, étoile montante de la psychiatrie moderne.

Roumieux très doux, presqu’effacé, mais proche et sympathique, avec un bel accent du Lot encore. Je l’ai connu alors qu’il était en train de rédiger tout seul et en cachette le livre excellent qu’il a écrit sur le passage de la psychiatrie du Moyen âge à la modernité : « Je travaille à l’asile d’aliénés ». Dans le service il avait une belle aura soutenant chacun autour de lui, une parole tranquille, qui semblait presque paresseuse. En fait elle masquait son extrême prudence à se livrer, parlant donc comme un sage, celui qui en sait beaucoup plus long que ce qu’il peut en dire. Ayant donc beaucoup vécu et compris à demi-mot les secrets de chacun, des malades, des psychiatres, des infirmiers aussi bien sûr, connaissant leurs divisions et ses dangers. …

Le premier lien avec Ville Evrard date d’un colloque en 1988 où nous avons rencontré Lucien Bonnafé. La première rencontre se fait à la « Sehrep ».

900117 André Roumieux 02 910412 Edouard Durand, partie 1, partie 2, infirmiers, anciens gardiens d’asile

Edouard Durand, déjà très âgé à l’époque, était entré à l’asile dans les années 1930. Roumieux, plus jeune, a été l’un des rares infirmiers à écrire sur son expérience vécue en asile puis en psychiatrie.

900123 Rousseau (prénom inconnu à ce jour), infirmier, ancien gardien d’asile, ancien pédagogue.

« Rousseau, blouse bleue de l’ergothérapie et un des rares pédagogues. Je l’ai connu mais n’ai pas travaillé avec lui. Il me donnait l’impression d’être de ceux qui cherchaient à se protéger des patients qui lui faisaient un peu peur. Ceci était en réalité un sentiment partagé par un certain nombre de soignants ayant choisi de prendre de la distance pour se protéger de cette peur. Ceux qui étaient bien obligés de les côtoyer et d’être directement ‘actifs’ au milieu d’eux : infirmiers, médecins internes avaient du coup à leur égard un sentiment un peu négatif : ‘ils ne côtoyaient pas les patients aux moments difficiles de la journée mais seulement lors des activités bien ‘encadrées’. Ces appréciations négatives, de part et d’autres, Hélène Chaigneau s’ingéniait à les effacer en valorisant leur propre activité, en particulier des ergothérapeutes, qui eux avaient été choyés par Sivadon, nous le verrons en évoquant celui-ci.

Cette remarque est utile pour montrer les luttes sourdes qui existaient entre soignants et qu’il était dangereux de laisser évoluer. Hélène était attentive pour au contraire travailler les points de convergence autour de chaque patient. »

  • Rencontres le 24 janvier 1990, le 5 et le 21 février suivants, avec deux infirmiers à la retraite. Ils nous reçoivent à l’intérieur d’un énorme bâtiment central dénommé « Magasins Généraux », reconverti depuis, de plusieurs façons. Y était située l’ancienne salle de garde.
  • On y trouve l’ancienne et la nouvelle bibliothèque, le magasin d’alimentation, une partie de la nouvelle pharmacie (l’ancienne y était intégrée, prenant moins de place), l’ancien dispensaire et vestiaire où les affaires des malades entrants étaient gardées, transformé aujourd’hui en « musée », plutôt un lieu où certains ont commencé à récupérer une partie des archives de l’hôpital et les étudient. Ce lieu a aussi été occupé par des chambres pour les internes. Tout en haut d’importants greniers où ont été entreposés pendant plus d’un siècle les affaires des patients qui décédaient, non récupérées par les familles, non utilisées par l’hôpital pour d’autres patients.

900124 André Roumieux et Henri Ruols, infirmiers, anciens gardiens d’asile

Henri Ruols nous est présenté par André Roumieux.

900205 André Roumieux et Henri Ruols suite

  • Plus tard, à l’extérieur, proche du lieu où se passent ces premiers entretiens, nous approchons d’un hangard fermé qui a été investi en atelier d’ergothérapie.
  • Une pièce lumineuse pleine de ferrailles, vieilles machines rouillées. Quelques pots de fleurs entretenus, ce lieu, à l’époque étant encore un peu traversé.
  • Quelques mois après nous avons connu ce lieu vide. Le dernier infirmier qui s’en est occupé est parti à la retraite.
  • Nous sommes à deux pas du pavillon « 6 », celui « des révoltés », l’un de ceux qu’a connus Artaud.

« Henri RUOLS justement était ergothérapeute, et lui animé d’un esprit indépendant, refusant de se mettre dans un parti ou un autre, solidement ergothérapeute, très attentif à la compréhension des patients. Dans les réunions il se montrait toujours en décalage et si possible dans une certaine contradiction avec le discours majoritaire. Je l’ai revu encore cette année (2019) à VE à la SERHEP, ayant un avis à donner sur tout, car très attentif ».

900117 Roumieux 02 910412 Edouard Durand 01

Roger Dobigny pharmacien de l’asile puis de l’hôpital psychiatrique

900116-900123 Roger Dobigny

900123-900208 Roger Dobigny

900208 Dobigny 03B

900221 Rousselot Bloch Bibliothèque

900221 André Roumieux et Henri Ruols 03

900226 Gilbert Leon 01 Pavillon Tilleul, infirmier, période contemporaine

900226 Gilbert Leon suite

« Gilbert LEON, je ne l’ai pas vraiment connu. Il s’est intéressé par la suite aux archives de VE dans leur aspect administratif, mais sans engagement clinique personnel, ce qui ne l’empêchait pas de vouloir donner son avis avec conviction ».

900228 Boujant, infirmier, ancien gardien d’asile

Asile des Femmes.

  • Rencontre dans l’ancienne bibliothèque de Ville-Évrard au centre de l’hôpital. L’entretien se déroule dans un rythme tendu, les personnes ayant apparemment très envie de témoigner comme si elles se débarrassaient d’un trop plein.

900312  Victoria Dobigny & Orsini, infirmières, anciennes gardiennes d’asile

Paul SIVADON, psychiatre, ancien médecin-chef

  • À la suite des premiers entretiens, nous demandons de rencontrer d’autres anciens parmi des médecins. Entre autres on nous parlé de Paul SIVADON. Les infirmiers en parlaient avec beaucoup de déférence.
  • Rencontre dans son appartement de Passy à Paris. Il est âgé, malade, s’apprête à déménager pour s’installer définitivement en province. L’entretien se déroule comme une logorrhée ; tout n’a pas été retranscrit.

Guy Baillon : « Paul SIVADON, un des pionniers du renouvellement de la psychiatrie au lendemain de la guerre, mais dans une autre direction que La Psychiatrie de Secteur, et basée sur l’idée d’une guérison obtenue par l’effet du seul travail manuel. (sur la thèse développée par la psychiatre allemand avant-guerre, qui a aussi inspiré la Psychothérapie Institutionnelle, mais celle-ci l’a couplée avec le marxisme)

S’appuyant seulement sur les capacités personnelles de chaque patient, développées par des activités autour de la notion de travail manuel, il a donc fait un projet simultanément avec un autre psychiatre Le Guillant auprès de la Sécurité Sociale. Celle-ci accepte et les subventionne, Sivadon à VE et Le Guillant à Villejuif.

Il le développera pendant une dizaine d’années, et voyant qu’il n’est pas arrivé à convaincre la Sécu pour en faire un projet national, il a développé la même idée avec le travail intellectuel, et à faire un projet en direction des étudiants malades et a réussi à convaincre la Mutuelle Générale de l’Education Nationale. Grâce à elle il a créé l’institution de La Verrière. Il quitte donc le CTRS pour ce nouveau projet. Il en a certainement bien parlé dans ce rush.

Je ne l’ai rencontré que rapidement lors de célébrations officielles qui ne m’ont jamais passionné alors qu’il devait y faire des prestations remarquées.

Son assistant Sven Follin a été son successeur immédiat. Je ne l’ai jamais rencontré

Hélène Chaigneau qui fut l’une des élèves brillantes de Sivadon lui a succédé, mais de Sivadon elle ne nous en jamais parlé ! »

900313 Paul Sivadon, médecin psychiatre

900319 Roger Martin, infirmier

Professeur Baruk, psychiatre, ancien médecin-directeur de l’hôpital de Charenton, mars 1990, quand nous le rencontrons il a plus de 90 ans

  • Ce médecin nous attendait dans son bureau situé dans un H.L.M. des années 60 au bord de l’autoroute A5, où il recevait à l’époque encore des analysants. À 93 ans, il articule de façon intarissable.
  • À l’époque, nous avons décidé de travailler avec le plus de personnes âgées que nous pouvions rencontrer, contre la montre, rechercher les derniers témoins d’un temps, puisque, pour les époques suivantes les témoins seraient évidemment plus aisés à trouver. Ceci suite à l’impossibilité de rencontrer Ferdière, le psychiatre qui a récupéré Artaud à Rodez, décédé une semaine avant l’entretien prévu.

Baillon : « Baruk, Professeur, non connu de moi, mais sa notoriété était forte, totalement marginale, une « originalité » au sens psy ! très haut en couleur. Peu l’ont égalé ! »

900321, le docteur Baruk est né en 1897. « Une vision de la psychiatrie.
Pinel, Freud … Clemenceau.
Une « psychiatrie en rapport avec la médecine »
La destruction de la psychiatrie française.
Le Secteur, n’importe quoi …
La Psychanalyse se trompe.
Les traitements
Les morts de faim, les oedèmes de carence.
J’ai connu le Dr Sérieux, Mlle Pascal à Ville Evrard … le Dr Ayme. Les maladies mentales n’existent pas, c’est un rêve, un mauvais rêve. La culture des maladies mentales. »

Edouard DURAND, Infirmier à la retraite de l’ancien « Asile Hommes »

  • L’entretien individuel a lieu dans l’ancien lieu où on gardait les objets des patients. Édouard Durand,  81 ans, n’est pas revenu dans l’hôpital depuis plus de vingt ans. Il ne voulait pas revenir. Ce sont des collègues retraités, mais nettement plus jeunes, qui l’ont convaincu.
  • Durand est le seul témoin qui a connu Antonin Artaud à l’Asile.

900323 Edouard Durand 01 02

900409 Edouard Durand et Gilbert Leon 03 04

901119 Chastagnet, Gilbert Leon, infirmiers

« Chastagnet, infirmier, après avoir été je crois surveillant d’ergothérapie, me semble t il. Je l’ai bien connu et bien apprécié. Il est devenu le second Surveillant général du Secteur 14 dans les années 75. D’une éducation modeste, il était en difficulté pour tout débat trop intello et de ce fait nous obligeait tous à adopter un langage clair pour tout le monde. Très apprécié pour sa solidité, sa rigueur. Il avait été menuisier je crois autrefois ».

910000 Lunel au téléphone, ancien responsable de la ferme de l’ancien asile – hôpital psychiatrique

PERRIN, Ancien directeur du CHS pendant trois ans à la fin de sa carrière, secrétaire et responsable de direction depuis quarante ans

« PERRIN, administrateur au long cours de VE, rigoureux. Il a d’abord été l’assistant de FANON, le directeur fort respecté en 67-75, et lui succèdera 3 ans. Très classique, intègre mais imperméable à toute modification du fonctionnement antérieur et aux applications de la Psychiatrie de Secteur. Cela ne l’empêchait pas d’être accueillant et sympathique. La preuve en est qu’il a accepté que des cinéastes viennent sur les terres de VE ??? Ce qui était loin d’être gagné. Il a fallu que Bertrand et Paule soient de fins diplomates !

Il sera remplacé en 1989 par un Directeur, venant d’un hôpital général, ne connaissant pas la psychiatrie. Ainsi il s’est montré aussitôt attentif à l’évolution proposée et a accepté de l’accompagner en inaugurant d’autres formes de gestion pour soutenir les projets du Secteur, en particulier en établissant enfin des liens entre l’intra hospitalier qu’il gérait et l’extra uniquement géré par le Département ».

910116 Perrin 01, directeur intermédiaire de l’hôpital psychiatrique à l’époque de la préparation et du tournage du film

910130 Perrin 02

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DEUX INFIRMIERS de L’ASILE et du « SERVICE SPÉCIAL », retraités

  • 14 février 1991. L’entretien a lieu dans l’une des cours du Service Spécial des Alcooliques de la Seine « Hommes ». De grands bâtiments, des structures d’architectures collectives classiques rappelant les innombrables écoles, lycées, casernes.
  • Une cour plantée de platanes avec des suite de bancs en ruine. Une autre cour où la végétation a poussé librement, buissons touffus et hautes herbes. Des murs qui ont été rabattus. À quelques endroits très rares la trace des anciens murs hauts d’au moins quatre mètres, du fil barbelé « arrangé » en hauteur pour empêcher toute traversée. L’ensemble un peu dans l’étrangeté, la volonté de vouloir cacher une période honteuse, je n’exagère pas…
  • Des toilettes à la turc couvertes de graffitis et dessins sur papier collés, éventrées.
  • Un mur totalement recouvert de rayures, dessins, calendriers, trous faits par les infirmiers par ennui avec des clés. On trouve souvent ce type de trace un peu n’importe où. Là, le mur en question fait au moins 15 mètres de long, rempli de bas en haut de traces au maximum de ce que peut réaliser la taille humaine. Tout cela, au centre de l’hôpital, à proximité de la « Maison de Santé » et de « l’Asile ».

910214 Coulon et Ruols exterieur

C’est un parcours dans la mémoire, oui, je dirais juste un parcours parce qu’elle prend tellement de place. Chez Lucien Bonnafé.

910218 Lucien Bonnafé 01

Les rencontres avec Lucien ont lieu à son domicile personnel, une maison construite sur sept niveaux où se trouvent un certain nombre de réalisations de patients.

910218-910227 Lucien Bonnafé 02-03

Baillon : « D (Dimitri Karavokyros, psychiatre) est mieux placé que moi pour en parler, l’ayant connu avant moi. Ce fut notre mentor dès que nous l’avons rencontré, pour moi dans les années 65, pour D avant, par exemple dans les réunions syndicales que nous hantions et nous bâtissions l’avenir !

Je l’ai assez côtoyé pourtant dans le nombre des réunions syndicales, pour que vers 73-75 partant en retraite de son grand projet dans l’Essonne, il me fasse l’honneur de me demander de le remplacer. Mais j’étais déjà très engagé sur le projet du secteur 14 où j’avais commencé à travailler, avant d’en avoir la titularisation officielle, et où j’espérais être confirmé. J’ai donc refusé cet honneur.

Il a été notre phare pour approfondir et mettre en œuvre cette Psychiatrie de Secteur, tout au long de notre propre carrière.

J’ai eu de nombreuses occasions de le revoir après sa retraite encore. Trop de choses ont été dites et écrites sur lui pour que j’ose ajouter quelque chose ».

Le CTRS (voir aussi Hélène Chaigneau)

910220 Paul Sivadon 03

910221 Lepiney 01, infirmier

910226 Bachot, Henri Ruols 01, infirmiers

910226 Bachot, Ruols 02

910227-910328 Lucien Bonnafé 04-05 A

910227-910328 Lucien Bonnafé 04-05 B

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910228 Rodolphe Roelens, psychiatre 01

910228-910321 Rodolphe Roelens, psychiatre – Françoise Gury 01B 02A

910321 Roelens, Gury 02B

premier tournage, aout 1991, avec Rodolphe Roelens

  • L’entretien a lieu à Ville-Évrard dans une des cours de l’ancien asile « femmes », entretien filmé en été 1991 (Agnès Godard).
  • N’existe pas dans le montage définitif mais dans la version Arte « Mémoires d’Asile » diffusé sur Grand Format et sur la copie de travail sauvegardée en cours de montage sur la Steenbeck. Ce document n’est pas encore digitalisé par manque de moyens.

Guy Baillon : « Rodolphe Roelens, psychiatre contemporain d’Hélène Chaigneau, communiste solide et grand clinicien (je ne sais s’ils n’avaient pas été internes ensemble à VE autrefois ?), connaissant très bien Hélène. Puis il a travaillé à Toulouse pour revenir dans la région parisienne et donc à VE au moment de la sectorisation, juste avant le début vers 1970.
Mais Roelens était extrêmement timide, et toujours marginal, pour affirmer son indépendance, en retrait de toute participation aux grands débats, tout en étant très désireux d’un changement profond.

Nous sommes devenus de grands amis et les dernières années de leur vie nous avons pris l’habitude à 4 amis de passer un repas ensemble une fois par mois, avec Hélène Chaigneau et Yves Buin, l’ancien assistant de Roelens.

Françoise Gury, administratrice à VE était son amie ».

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910315 Gouvy 01 administratrice, responsable de tutelles

« Gouvy autre administratrice de VE au service des tutelles, très rigide, et peu ouverte à toute évolution, un interlocuteur très difficile ».

 

 

Quelques extraits des derniers témoins de la fin de l’Asile à l’hôpital psychiatrique spécialisé de Ville Evrard

 

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Mmes Orsiny et Victoria Daubigny, infirmières de l’asile

 » Je suis arrivée en 1935
Un trousseau de clé important
Le fond du panier
Le « 5 » : les demi agitées, le « 6 », les agitées avec les « bains prolongés »
30 personnes pour 16 lits …
En 1936 c’était surchargé
Les cris, les piqûres à l’huile soufrée
Garde chiourmes …
Maman était là à la guerre de 1914
Mes parents ont travaillé là, puis mon fils
Le peignage
Les « petites bleues » à la Sapeltrière
Les Entrantes de Sainte Anne
On les triaient, on arrivait aux bains, la bure grise
Dans le temps c’était beaucoup plus familial qu’aujourd’hui
Aucune formation, on arrivait comme ça…
On entendait dans Neuilly les malades brailler
Quand on est rentrées on faisait 48 heures, ensuite 40
La première fois
4 à 5 infirmières pour 30 malades
Une journée de travail ; on comptait les malades
L’eau chaude est arrivée en 1939, un WC pour 30
Les malades aidaient à pousser les chariots vers la buanderie
Plus de 2000 malades et autant à Maison Blanche
Les évasions
Parienté a voulu ouvrir les portes
L’angoisse de sortir, celles qui voulaient le plus sortir avaient peur
Les infirmières qui ne voulaient pas évoluer
La religion
Les transferts
Les déportés soignés à Ville Evrard
Les malades qui avaient un enfant
La mixité
La sexualité
Les électrochocs, les bains. Bilan. »

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Archives Caves et buanderie, fin du Pavillon « Les Tilleuls »

Archives dans l’une des caves de l’hôpital, avec Gilbert Léon, infirmier en psychiatrie

 » … Un militaire, alcoolique, en 1910
Le 26 avril1909, Mr Albert, présente un état grave
« Idées ambitieuses et de satisfaction. A maintenir »
« Le Malade a des projets déraisonnables, force en conséquence … en phase terminale de syphilis »
Beaucoup de malades de ce type à cette époque
« Le malade est actif, robuste, violent quand il est contrarié, et comme dans ses instants de lucidité il réclame avec insistance sa liberté, je redoute des difficultés pour le transférer chez vous.
Le malade est un de mes intimes » – signé « directeur de l’Hotel Dieu, 14 aout 1909 »
Et à l’intérieur on trouve la réponse du directeur de Ville Evrard.

Santé publique d’un côté, Maison de santé de l’autre, l’un payant, l’autre pas

« Je vous prie de faire passer mon mari de la seconde classe à la troisième classe… »

« Nous pouvions nous charger d’un homme sain, mais (après une semaine) il nous est impossible de vivre avec un aliéné qui peut être dangereux pour une femme et un enfant s’il est contrarié »

Un brevet d’invention déposé dans ce dossier… Mai 1911″

Avec monsieur Legalès, responsable de la buanderie et de la conservation des effets des patients (cumulant des articles et documents datant de 1868)

Un cahier des décès.
1952. La Tuberculose
Congestions pulmonaires
Suicide d’un mélancolique (…) »

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Edouard Durand, infirmier de l’asile – mémoire des années 1930 à 1950, l’ouverture à la parole

« L’émergence de la parole des infirmiers psy
Antonin Artaud
l’Arrivée des neuroleptiques. Les cris ont cessé
La guerre et les malades morts de faim. »

Partie 1

« En général nous sommes admis par cooptation
Maman était infirmière à Maison Blanche. Elle est venue à Ville Evrard, elle avait 15 ou 16 ans
Je ne voulais pas travailler le week end
Je pense que les gens de Neuilly sur Marne étaient allergiques à Maison Blanche et Ville Evrard
Je suis né en 1909 – mon père n’est jamais revenu de 14
Mes parents vivaient avec les malades – des journées de 12 heures
Je suis rentré pour travailler en 1934
Le fait d’être valable (pour les malades)
L’instruction
Le soin d’infirmier (années 1930)
– Le 1, des gens calmes, les travailleurs
– le 2, les gâteux, de grands débiles
– le 3, la Cathédrale : les Entrants, les soins somatiques
– le 4, les épileptiques, les alcooliques
– le 5, les demi agités
– le 6, l’Enfer soi disant du service, j’y ai travaillé des années
Au « 6 », avant ou après la guerre, le Docteur Sivadon
Comme des gardiens…
Ma première journée – j’ai commencé au « 4 », une blouse blanche, un sifflet, un trousseau de clé, un képi
Toute la génération précédente était en uniforme d’infirmiers
C’est l’automne, je surveille la cour avec 20, 30, 40 malades
Histoire du coup de poing qui finit en camisole
La mort des malades pendant la guerre. On mourrait facilement ici à Ville Evrard
J’ai connu une équipe plus dure, c’est difficile d’en parler
Au « 4 » j’ai été dressé
Ville Evrard à cette époque était très vivant. Ville Evrard, Villejuif, Maison Blanche, Sainte Anne, Vaucluse, tous ces hôpitaux (à l’époque) étaient loin de Paris
Une grande partie de la population de Neuilly sur Marne travaillait à Ville Evrard et Maison Blanche – c’était une sécurité
La maladie mentale, on en a peur – On avouait pas à l’extérieur d’être infirmier psy
Une journée au « 6 » (les Agités) – Les bains prolongés, 4 à 6 baignoires, les malades attachés aux bains, ou camisolés
On a compris que ça touchait la liberté – c’était le médecin
Les malades étaient purgés à l’huile de ricin, nos malades étaient tellement passifs …
C’étaient des conditions ignobles, ils perdaient une partie de leur responsabilité
Bonnafé, Sivadon, ils nous ont fait voir le monde sous un autre angle que le monde carcéral où nous vivions
Mr Sivadon nous a humanisés – il nous a aidé à devenir des hommes vrais
Ce qui nous a le plus révolté un jour, c’est un médecin qui a donné une permission à un malade (avant le temps prescrit), ça a bouleversé le service
Nous avions l’esprit conditionné
À travers Sivadon, les malades sont devenus des hommes avant que les sauts-de-loup et les grillages tombent
Les docteurs Rodier et Chanesse
« S’habituer et se méfier »
Mademoiselle Chaigneau
Un algérien qui n’est pas rentré – six de ses amis sont venus s’excuser pour lui
Pendant la guerre – moi je l’ai vécue lâchement – un travail très blessant et agressant
Je ne peux pas évoquer cette période
On donnait une demi louche de flotte avec quelque chose qui nageait dessus
Moi je cultivais un jardin dans la plaine
En 1940 1944 – on étaient volés – On disait : ils se goinfrent avec la ferme
Ma conviction : la ferme à Ville Evrard apportait beaucoup sur le plan thérapeutique – elle n’a pas nourri les malades
Les malades étaient absolument indispensables au fonctionnement du lieu
Les malades mourraient de faim
Des familles se privaient pour apporter à leurs malades
On a vu les murs s’abattre, les portes s’ouvrir
Le pécule
Le nom d’asile, un beau nom
Antonin Artaud – on avait des attentions
Il était au « 3 » le pavillon le plus coté de la maison
Je l’ai connu qu’en état d’agitation au « 6 »
« Toute la nuit vous avez combattu à mes côtés avec Saint Michel l’Archange »
Le frère du chancelier d’Autriche, hospitalisé pendant la guerre
La Maison de Santé, la haute noblesse de l’hôpital
Nous à l’as-ile on était le tout venant
J’ai été nommé surveillant en 1957
Quand des médecins avaient des problèmes avec des malades, on nous les confiait
Le surveillant et les infirmiers, c’est un peu comme les parents – le surveillât c’est le père de l’équipe
Les Bons et l’Inventaire
L’inventaire à jour – Histoire avec l’économe
Les premiers neuroleptiques – le Largactyl, l’électrochoc a amélioré grandement
Une séance d’électro
Le Cardiazol, un médicament de choc
La cure d’insuline – cela permettait d’entourer le malade – une présence féminine
J’exposais à Sainte Anne certaines situations
Un malade camisolé, on le cajolait, on le restructurait – on ne l’a pas guéri – il a eu une vie un peu plus normale quand même
Le Largactyl, un neuroleptique, a été une révolution – En quelques tels, tous les cris ont disparu
On a eu beaucoup de mal à ce que ça devienne pas une routine
Un malade qui cassait fou – la parole
Sivadon, un des médecins qui a parlé avec nous. Et la psychanalyse ?
Le plus positif ? Bilan
Ce métier m’a permis d’avoir une vie familiale près de la normale. »

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Partie 2

« Une révolution psychiatrique »

« J’ai été très angoissé par le premier entretien
Les neuroleptiques ont apporté un effet spectaculaire – Mr Artaud n’aurait jamais déliré – une rupture
Les gens agités sont devenus aphones
Une expérience sous l’effet placebo…
Ah ça me gêne de tout dire !
La contention, la camisole de force, les bains forcés, la camisole chimique
La question des doses prescrites respectées
Le docteur Laborit, chirurgien de la marine a découvert les neuroleptiques
Le comportement, avec les neuroleptiques, a permis des rapports – il faudrait qu’on vous raconte tout cela collectivement
Les 6 pavillons de femme de l’Asile, les 6 d’hommes, les Grands pavillons d’Alcooliques : Pibel, Esquirol, Falleret… le pensionnat de la Maison de Santé (14 pavillons)
Sivadon est arrivé en 1947 1948 et il a pris le vieux service d’asile du Docteur Rodier qui a été suivi par le Dr Chanesse, le Dr Rondepierre, le Dr Menuau, le Dr Mignot – Le Guillan – Bonnafé … ils ont insufflé un esprit nouveau
Sivadon c’était le bon père de famille
Les Incurables – ils ont été disséminés – le service s’est retrouvé avec des malades dans la normalité nous sommes passés de 400 à 250 malades – on est passé d’un médecin à 9 médecins, c’était une révolution
L’excès du nombre
Après guerre beaucoup de malades avaient disparu, les services vidés par la famille, mais aussi la famine dans les quartiers pauvres de Paris – la pénurie avait diminué l’alcoolisme, le fait de devoir se battre a changé l’ordre des psychoses, défoulement de l’agressivité
Quand je dis « fou », ce n’est pas péjoratif
Sivadon était très pédagogique
L’infirmier psy, c’est un autre homme que dans les autres services des hôpitaux
Le relationnel – histoire des trois infirmières de l’HP
Il faut savoir donner beaucoup de soi – on doit remplacer le père, la mère – le don de soi
Intervention de Gilbert Léon
Je voudrais dire quelque chose mais je ne voudrais pas que ce soit enregistré
Été dans un des quartiers les plus difficiles de Ville Evrard jusqu’à la retraite – d’autres partaient dès qu’il le pouvaient
Une équipe qui attache les malades, et la suivante les détache
Il y avait deux esprits dans le même pavillon
Les services des Gros Bras qu’on appelait en cas de conflit – la force a aussi été un élément apaisant
Un monsieur professeur dans un collège, mademoiselle Chaigneau est venue et une semaine après il a repris son travail
Il y avait des malades qui faisaient presque un travail d’infirmier
La vie de Vlle-Evrard reposait aussi sur le travail de ces malades, sinon l’hôpital ne pouvait pas fonctionner
Certains ont travaillé pour l’hôpital toute leur vie
Questions de société et de rejet – autour du travail – questions de responsabilité
L’admission des malades à Ville Evrard depuis les débuts – Ils venaient tous de Sainte Anne et avaient déjà reçu des contraintes, ensuite ils étaient transférés
Nous étions considérés comme des gardiens
Arrivés à Ville-Evrard, ces malades étaient à nouveau déshabillés et lavés, une seconde fois
On enlevait tous les bijoux, les alliances
J’ai vu un malade aux poings cisaillés attachés par la police
Un médecin coercitif : à Maison Blanche (témoignage de ma mère)
Les sorties hors de l’institution – à Fontainebleau – un début de rapport à la normalité
Le Lithium, surtout à partir des années 1970 – avant c’était considéré comme un poison – on a appris à doser
Un malade, c’est bien autre chose
Pour moi le malade a disparu, il y avait des hommes
La « porte du vin » – les alcooliques de Ville Evrard
On a essayé la Tuberculine, on a fait des injections d’huile soufrée
La science : on essaye, on expérimente
La Démolinothérapie : un alcoolique qui voulait guérir, on y mettait des gens qui voulaient tout casser »
(…)

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André Roumieux, infirmier

En France, un des rares infirmier psy qui écrit sur son expérience et édité : « Je travaille à l’Asile d’Aliénés »

« La condition humaine – ce « Vivre avec ».

Je viens du Lot, je suis rentré en octobre 1951, c’était très rapide, j’avais 18 ans
Mon père rêvait que je sois fonctionnaire
On disait « c’est les fous ! », les cris – dans ma jeunesse : un grand mur. J’avais vu un être humain sur de la paille.
On a vu les malades attachés, à poil en cellules
Quand j’ai écrit mon premier livre, je ne voulais pas qu’on sache que je travaillais ici
Il fallait toujours faire attention, et s’habituer – ceux qui ne pouvaient pas, partaient
On a jamais été totalement habitués et il fallait se méfier de tous
Le pouvoir du médecin – le pouvoir de l’infirmier
L’équipe était un ensemble clos
Le médecin arrivait, un cérémonial se mettait en place
La répartition du travail, l’infirmier a fait le ménage pendant longtemps
Ville Evrard, un village très particulier, très original
On vivait et le moyen âge, et le progrès
Il y avait beaucoup d’enthousiasme et des gens qui voulaient changer les choses
Le médecin et des infirmiers tout à fait remarquables…
On étaient sensibles à l’humanisation du service – des infirmiers s’opposaient au changement, d’autres étaient très engagés
On m’a appris la tolérance
La prise de parole de l’infirmier psychiatrique… j’ai eu une place de privilégié tout en étant partie prenante
La condition infirmière c’était le silence : il ne faut pas parler
Marius Bonnet avait écrit dans la revue Esprit en 1952 sur la misère de la psychiatrie
Notre image de marque : les gros bras, l’image de la grosse brute
Le journaliste d’Antenne 2 qui voulait absolument …
On a toujours supporté le poids de notre histoire, mais la société a toujours eu un rôle ambigu avec nous : elle nous reprochait d’enfermer et l’inverse
Rencontre avec Georges Duhamel – Cocteau nous a envoyé des profils – tout ceci était intense même si cela a débouché sur rien
Des livres dédicacés, Maurice Chevalier, Marcel Achard
La mémoire enfouie
Avec ma femme, on avait décidé d’écrire – je voulais qu’on respecte la souffrance humaine
Pierre Nora à Gallimard voulait publier mon livre – j’étais très angoissé
Ce qui m’a frappé au début c’est l’odeur du délire, l’odeur de la folie enfermée
Le réveil, le début d’une journée c’était extraordinaire
On a travaillé dans un système qui sécrétait la violence
Sur le livre, j’ai eu très peur – j’étais celui qui a écrit Le Livre
Les bons – faire signer 6 ou 7 personnes pour avoir un manche à balai neuf
Au mois de mai 1968, texte « abolition de l’inventaire »
Une journée en 1955, 1956
Le Rapport … un malade a des idées de suicide « **** »
On comptait systématiquement les malades
La démolinothérapie, il fallait être prudent
Des malades occupaient des postes de travailleurs – partout – le pécule – ça avait une fonction valorisante
Le problème des couteaux aux repas – un couteau par table – on reprenait les couteaux avant la fin des repas – un couteau avait disparu, c’était très grave
Les infirmiers mangeaient à part
Le jour des visites le dimanche – le carnet de visites
Un infirmier n’était jamais seul pour surveiller – il y avait des malades qui n’avaient jamais de visites – la misère – le biberon froid
L’histoire des traitements – des traitements de choc au traitements insuliniques
C’était tellement violent pour le patient et pour le soignant : les séances de Cardiazol
LaTuberculine, le nursing
Une séance de Cardiazol, on ne sait pas ce qui va se passer – dans une chambre d’isolement … une injection
Le principe était de déclencher une crise d’épilepsie artificielle, le malade avait une sensation de mort imminente (…)
Les électrochocs ont suivi
Je faisais tout pour ne pas participer aux traitements de choc j’en ai toujours eu horreur – cela fait partie de notre pratique
Je n’ai jamais osé en parler
Mais j’ai toujours participé très facilement aux traitements insuliniques
Un malade qui me suivait du regard – je suis aller le trouver – j’ai pu rien dire – on s’est battus
C’était le système de violence dans lequel on s’est trouvés tous les deux – On étaient pris
Histoire de la cigarette à moitié
L’angoisse qu’untel se suicide. »
(…)

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Paul Sivadon, psychiatre

« La découverte des asiles »
Genèse d’un jeune psychiatre
Clérambault, Lacan, Toulouse
L’Infirmerie Psychiatrique à la Préfecture de Police de Paris, Ville Evrard, Maison Blanche.

La musique ou la médecine ? Rentré comme interne à Ville Evrard, j’ai vu l’asile dans son aspect moyenâgeux typique en 1929, l’alimentation forcée, la camisole de force, une psychiatrie insoutenable, et pendant 11 ans je suis les grands patrons de cette époque, interne de Clérambault, de Henri Claude, avec comme camarades de salle de garde des gens connus comme Lacan, Lagache, Henri Ey
A ville Evrard, je voulais faire de mon mieux et j’ai été découragé par le patron au départ
Des petits papiers : « j’ai été interné à tort », « faites moi sortir docteur »
« Attraper les testicules du docteur »
On voyait des malades prendre du plaisir à se faire nourrir artificiellement, une peur qui se transformait en agressivité
Lorsque le malade serrait les dents, on lui en enlevait une pour lui ouvrir la bouche avec une toupie pour passer la sonde
Une peur refoulée, une peur générale, la peur du Fou, systématique
Aux infirmiers : apprenez à vous méfier !
A Toulouse, médecin ne faisait la visite qu’entouré et protégé au pas accéléré, les malades étant séparés par des tables
A Clermont-Ferrand, jeune j’habitais à proximité de l’Asile de Sainte Marie et je suis monté à une échelle à 5 ans qui permettait de voir la cour de l’asile des fous – J’entendais des cris – les malades de l’Esprit – les malades s’accrochaient à des grilles et des hommes en blanc leur tapait dessus pour qu’ils décrochent
Je deviens psychiatre à mon entrée à Ville Evrard le 1er avril 1925
« Tu es complètement fou !, la psychiatrie ça n’existe pas ! »
Des malades pleins d’escarres et d’excréments
La mise au point d’une camisole de force – elle ressortait automatiquement
Le shéma de la peur et sa réponse agressive
Un jour à trois heures du matin, je fais un tour dans mon service et je trouve tous les malades camisolés. La journée, tous les infirmiers me félicitaient de l’ouverture du service
« Il » devenait dangereux du fait de la peur de son interlocuteur
Un monde de communications intervivantes que nous connaissons encore très mal
Un intellectuel rationnel ne comprendra jamais rien à un fou
Les malades de la Tuberculose peu peu remplacés par des malades mentaux
Certains à la salle de garde sont allés vers des postes qui ne les fatiguaient pas du tout
La recherche du microbe de la folie
Le Corbusier était l’architecte choisi pour construire un nouvel hôpital moderne : Lannemezan
Toulouse faisait des services ouverts : « c’est l’avenir »
Le personnage lacanien, un beau salaud au point de vue sadisme
Clérambault était médecin chef à l’Infirmerie spéciale avec deux adjoints, c’était à la préfecture de police, un bâtiment pour les prostituées et un pour les fous
Il voyait les « malades fraisé, ceux qu’on venait de piquer dans la rue, le fou du trottoir parisien – c’était une observation instantanée
Le fou devenait de plus en plus fou parce que ça faisait plaisir à tout le monde
Un acte signé qui vous transformait en « fou » en une minute, c’était le passage de la normalité à la folie
Le malade, il le regardait après
Clérambault était un maître sadique – histoire de la chaise – pour les parents en salle d’attente : « l’attente crée le respect »
Sa théorie était connue sur le plan mondial à une époque où il n’y croyait plus lui même (il a été dépassé, son livre n’est jamais paru)
La forme délirante due aux circonstances
Ce qu’il refusait de voir le maintenait dans une position archaïque
Portrait d’un paranoïaque ».

 

Lucien Bonnafé, tournage au Pavillon Pinel, un des anciens quartiers « des alcooliques du département de la Seine », Ville-Evrard 1992

Bonnafé a 84 ans lors de nos rencontres.

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Lucien Bonnafé, psychiatre, février et mars 1991

« Eluard
Saint Alban – Ville-Evrard

Artaud, Ferdière, Édouard Toulouse. Des courriers très délirants, il était effroyablement malade
Le climat de ce service avant la guerre – il vivait dans un système extrêmement persécutif – l’actrice Hélène Manson, elle était au cœur des persécutions

Artaud souffrait horriblement des persécutions

Il était parti en Irlande avec la canne de Saint Patrick, il a été piqué au Havre
C’est à Ville Evrard qu’il a fait son internement parisien, c’était un enfer du point de vue des malades, un surpeuplement prodigieux, la famine
La structure asilaire : un comble d’inhumanité.
Le gâchis
La moyenneté contemporaine, les modèles mentaux moyens, on parle de Ville Evrard exactement comme on parle de la Guerre du Golf (en cours à l’époque)
L’infirmité mentale en question rend incapable de rendre la réalité profonde des choses, et notamment de la réalité asilaire
C’est un système démolisseur d’hommes en tant que système, il démolit principalement les exclus
Les CEMEA, on s’en est servi pour donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas – la prise de conscience des infirmiers
Pour « Eux », les infirmiers c’était le personnel secondaire exécutant
Daumezon, Toscquelles et la « convivance »

L’asile, c’est une structure extraordinairement pyramidale
L’émergence de la parole des infirmiers, cela a été dans le vent de la Libération

Les solidarités de Résistance ont eu une puissance considérable, cela a permis de militer pour la libération de la parole
Les lieux de Résistance, j’étais membre du PC … les camarades communistes, un noyau résistant. À la démobilisation, on était résistants, on a pas attendu de rentrer en Résistance
Le 14 juillet 1941, on avait monté un grand spectacle uniquement dédié à Philippe Pétain, maréchal de France et de Navarre, on a fait un 14 juillet ultra républicain
9a a eu des conséquences et ça n’a pas arrêté de se développer
Je suis passé de l’internat en service en banlieue à l’internat de Sainte Anne
C’est très important pour moi que je sois petit fils d’aliéniste et fils de médecin généraliste

Le grand père était pétri de culture anarchisante

« il n’y avait que les Fous qui étaient intéressants dans la vie, et ceux qui les persécutaient étaient des abrutis »
On ne sait pas que dans le monde aliéniste il y avait une contestation vigoureuse, très enfouie, minoritaire
L’aliénisme a été le champ d’une résistance – un rapport de Saint Alban sur les Fous d’Afrique qui étaient envoyés au « marché aux esclaves »
L’Administration parisienne avait refusé de construire pour soigner les Fous de Paris en disant qu’il était plus économique de négocier avec les Asiles de province
Ce qui en résulte de Vaucluse et de Ville Evrard qui est du Plan Haussmann (…) le cheptel aliéné parisien
Un document de 1835… « Musulmans : 110 (…) Convention avec le département d’Alger » … perdus dans les Bois du Haut Quercy et de l’Auvergne
Ça c’est la nature même de la Colonisation
C’était une grande stratégie économique : des entreprises à but commercial ont combiné avec la Préfecture de Paris des boîtes fondées exprès.

Il y avait les transferts et c’est de Ville Evrard que j’ai conduit un train de Folles à Plouguervénel en Bretagne
J’ai vu un projet insensé bâti par le département des Vosges pour servir de dépôt aux malades exclus de la Région Parisienne

À Ravenel dans les Vosges le bâtiment existe toujours
J’ai été nourri de cette fureur du grand-père
Ce qui m’a déterminé c’étaient mes jouets : quand j’étais gosse, ils étaient faits par des Fous
Indignation contre le bureaucratisme qui a tout de même toujours fait des percées dans le corps médical

Comment je suis devenu médecin … L’Ailleurs

J’ai beaucoup été fasciné par l’anthropologie mais aussi par le Groupe Surréaliste de Toulouse – et une grande passion pour le Cinéma – avant que je sois majeur
1932 : on a fondé le Cinéclub de Toulouse – je suis devenu projectionniste à ce moment là
Je suis devenu « Tucard », j’ai perdu une année de médecine – Là on rentre dans un moment qui se rapproche du Front Populaire
L’année 1934, la plus dure – Condamné à la prison à trois mois en sursis
Un emploi d’Interne à Braqueville chez les Fous – c’est à ce moment là que je commence à devenir travailleur psychiatrique
Je suis tellement allergique aux concours… j’ai oublié de m’inscrire – Actes manqués – mon allergie à la carrière médicale sous forme de concours

Le personnel habitait dans les asiles, c’est seulement avec les changements d’horaires en 1936 que ça change
Le travail de Le Guillant sur les bonnes de Bretagne – une étude sur le modèle de la « profession servile »
Le statut des personnels des Asiles est fait exactement sur le même modèle que les gens de maison
Je fais mon choix pour Ville Evrard en 1938
Sur la Centrale Sanitaire dans la Guerre d’Espagne, je faisais la navette entre Toulouse et Barcelone
Les trains de blessés, l’accueil de la France aux réfugiés d’Espagne, les Camps de concentration français, Gurs …
Je monte à paris chez mon ami Théo Gaubert (maire communiste de Neuilly sur Marne – J’ai vu l’interne de garde, il m’a fait un effet !
Alors de là je suis allé à l’asile de Moisselles où j’ai fait la connaissance de Menuau que je retrouve à Ville Evrard ensuite dans le service où a été Artaud
C’était en 1938 – il y a eu Münich – à Moisselles on envoyait les Vieilles – un service de 400 personnes
Je prépare le concours, je le passe, 3ème acte manqué : je lis une question de travers : copie nulle – j’avais bossé !
Quand on est de la famille des aliénistes, on est dans les Asiles comme chez soi – Et on a peur d’aller dehors – La terreur (paradoxe) des asilisés devant le monde extérieur
Le démon : la familiarité du monde asilaire

La visite du Chef et sa troupe, puis … « toutes les lettres dans le poêle »
Un médecin chef passait sa visite à cheval

Le troquet en face de la prison qui servait de bureau d’embauche

Ville Evrard, c’était un asile vivant sur des codes et des jargons, un vocabulaire spécial – et puis la classification des malades … des catégories « étonnantes », vision de détail
Le « 2 », les gens les plus intégrés au fonctionnement du système et qui le faisaient marcher, les travailleurs
Le « 4 », les gâteuses » – … mais non, le « 2 » c’était les déprimées, le quartier des suicidaires, la Mecque du suicide, tout le monde vivait dans le spectre de la mort et notamment le personnel
Le « 5 », les semi agitées – et le « 6 » c’étaient les agitées, au fond il y avait les cellules – les cellules il y en avait partout un peu mais plus au « 6 »

Les gens couchaient sur la paille ou le varech … D’où venaient ces gens ?
DE l’Infirmerie Spéciale puis des admissions à Sainte Anne qui faisait le tri
Le monde asilaire, un admirable matériel d’étude
Les médecins qui recherchaient des cas pour leur sujet de thèse – mais aucun ne correspondait à ce qui était écrit dans les livres
On cherchait, mais les malades étaient toujours très originaux, plus que le malade « type » – ça colle pas avec la description type …
Un qui se promène rue du Faubourg Saint Honoré devant l’Élysée avec une carabine 9 mm – toutes les peines du monde à le faire sortir après

L’asile, on se demande comment tant de gens peuvent vivre là dedans ! Comment ce système peut t’il tourner à ce point sans bavures
La routine du système asilaire qui produit la chronicité – l’ensemble concourt à se préserver – … Le plus difficile c’est de faire sortir les gens de ce système. »

(…)

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« La souffrance du peuple, c’est pas leurs oignons »

« Le Pacte Germano Soviétique
Les liens de Résistance … extrêmement complexes
1942 Résistance sur Paris
Lié à la personne d’Eluard
Les liens avec la Résistance à la fois personnelle et à le fois institutionnalisée
Le canal de la résistance poétique – Aragon
Médecin directeur à Saint Alban – la « corvée de directeur »
Chargé de Mission jusqu’en 1947 au Ministère
« la tristesse est une maladie des yeux qui pleurent »
Sur Baruk – sur les électrochocs et les cures d’insuline – on avait changé le système relationnel …
… Cette « pourriture » d’hôpital psychiatrique, on appelait ça la pourriture d’asile (…) …
J’ai beaucoup croisé Artaud – les Cellules
L’intérêt des infirmiers pur Artaud
La Maison de Santé, un monde à part – Moi j’étais chez les indigents

L’influence essentielle du Surréalisme – et l’importance de l’anti colonialisme
La haine du Colonialisme et la haine des persécuteurs des Fous sont exactement de la même trempe

Le thème d’humiliation – pendant la Guerre du Golf Saddam Hussein
Sur les médias occidentaux
« Saddam Hussein, c’est Saint Louis »
Les gens qui ne parlent que des chefs – la capitomanie dans laquelle ils fabriquent les opinions
L’inflation des chefferies qui mènent le monde – la manipulation des esprits
Sur l’Ordre Moral – sur l’entrée en République
Un texte de Jacques Lacan publié dans l’encyclopédie « la vie mentale »
Sur la démo-cratie, ils sont plus « cratie » que démo
Sur les stéréotypes – Orwell – la solitude des Résistants
Sur la toute puissance – vanité

Le Guillant a joué un rôle énorme dans tout le mouvement de mise en question de la tradition psychiatrique, un moment d’invention
Avec lui en 1945 – Fou Fou Fi

La Révolution psychiatrique de 1945 – c’est beaucoup dire – un noyau s’est constitué – Toulouse, Marseille, madame Le Guillant (Hirondelle), avec Georges Daumézon
Ce qui serait formidable c’est de les faire « convivre » eux mêmes…

Donner la parole à ceux qui ne l’ont pas
Un potentiel formidable de vivre-autrement-avec, c’est ce qu’on a appelé de façon un peu pédante la Psychiatrie Institutionnelle
Je fais très attention aux Discours de Clotûre

Ce qui est très important – si on change les rapports hiérarchiques dans les personnels, du même coup c’est le même boulot que de changer les rapports entre soignants soignés. »

« En 1945 – l’organisation s’est faite en temps de guerre – la latence de la résistance conservatrice – une poussière d’actes de divisions
La guerre froide a été un moyen de cassure extraordinaire
Quand je regarde ce pauvre BHL – l’anticommunisme
Henry Ey, un pote infiniment proche, une place gigantesque dans l’histoire de la psychiatrie mondiale

Les bons et les mauvais – quiconque a fait avancer quelque chose, c’était un marrant – le maniement de l’ironie, un puissant instrument de subversion et d’innovation

Hubert Mignot, directeur de Ville Evrard pendant les années 40 – Il ne voulait pas qu’on dise que les malades mourraient de faim, c’était pas bien de dire ça
Ultra réac – mais un grand clinicien
Menuau – Artaud c’était chez Menuau, chef de service

Reprise sur Saint Alban suite à Sainte Anne
Sotteville les Rouen, la règle d’entrée de l’hôpital c’était comme dans un hôpital ordinaire
Les gens ne pouvaient pas croire qu’on avait fait ça, l’internement terminé !

1968 – la législation sur les incapables majeurs
La loi de 1990 – le besoin d’organiser la position ségrégative, c’est la passion ségrégative, la passion légiférante du gouvernement, cela fait partie de leur maladie professionnelle, de leur déformation professionnelle

Je retrouve Mignot à Paris sur le Marais – on a énormément bossé ensemble

Les Livres Blancs de 1965 à 1967, tout un mouvement porté par la volonté de libérer la psychiatrie de sa servitude par rapport à la neurologie dans l’architecture officielle de la psychiatrie où elle n’était qu’une annexe de la neurologie
C’est là que Mignot a rédigé le document le plus important sur la malfaisance de maintenir une loi spéciale sur les Aliénés
VST – les CEMEA, le travail multicatégoriel
Mignot allait à la messe avec sa famille mais était un anticlérical. Il avait vis à vis de son église la même attitude que moi vis à vis de mon parti, c’est tout dire
RIRES

L’importance de la psychanalyse, c’est entré tout naturellement
L’ouvrage de Freud, c’est devenu mordant avec l’intégration dans le mouvement surréaliste – avec un gars comme Crevel, c’était mon plus proche compagnon
Ça se place dans l’évolution du groupe psychiatrique avant guerre – c’est tard après la guerre que les jeunes psychiatres se font analyser
Tosquelles joue un rôle considérable dans l’imprégnation de la culture française par la psychanalyse, car c’est lui qui venait de Barcelone, et réfugié à Saint Alban, apporte une connaissance de la psychanalyse qui n’existait nulle part ailleurs dans les Établissements
Ce qui fait de Saint Alban un lieu de haute découverte, et comme j’arrive à Saint Alban…
Toute psychiatrie est infirme si elle se prive de la leçon freudienne
ÇA VA PAS LA TÊTE
La profondeur de l’exploration de l’inconscient

Menuau – 1914 – pourquoi vous ne faites pas les Asiles ?
Quand il a hérité de ce service de Ville Evrard qui était une merde effroyable avec son encombrement prodigieux de malades en 1939…
Il se sentait incapable de remuer ce gigantesque truc
Michel Bouchanski a beaucoup aidé Artaud dans la misère
Les légendes sur Artaud à Ville Evrard c’est de la connerie Rive Gauche
LA MERDE ASILAIRE
Ça sentait le lapin comme disait l’autre, surtout dans les services Hommes de la Seine – un encombrement de bonshommes, et puis la famine en plus !

Chanesse – ces gentils aliénistes malheureux – tous ces gens qui étaient sensibles, intelligents, etc, mais qui étaient assignés à la position de gestionnaire du système – on en a connu des flopées
Moi je n’ai pas connu de salauds
J’ai entendu causer …

Dublineau, un olibrius, il s’excitait, il oubliait de rentrer chez lui, mais un esprit fertile, c’était un incitateur à penser et un regard à moitié opaque sur la réalité de son service
C’est dans son service que j’ai vu un homme de 100 kg mourir à 35

« c’est un beau service parce qu’il y a des bons malades »
Aimée, la mère de Didier Anzieu, analysé par Lacan
Dans l’ensemble, de toute façon on vivait sous le règne de la mort
Le système était installé dans son faciès gestionnaire – l’impuissance de changer un pareil truc
La critique existait en parallèle avec l’impuissance créatrice … (reprise sur le lien avec le colonialisme)

Daumézon, Arjuriaguerra, étaient des familiers du monde surréaliste

Le système asilaire a été conçu par des gens émérites, sortir les Fous des dépôts de mendicité (Foucault) … Pinel, Esquirol – là dessus, la mécanique ségrégative … caractéristique du pouvoir de la bourgeoisie – qui réalise le comble de l’intolérance aux sujets déviants
Elle aliène, elle sur aliène les gens qui ne tournent pas bien et ensuite elle les ramasse dans ses renfermements
On inventorie 18 000 Fous en France en 1830 et ils en ont foutu 120 000 dans les Asiles en 1839
… on revient à l’ordre moral
On ne peut pas imaginer la tyrannie idéologique et morale qui pèse sur la formation des esprits

Les Asiles sont des fabriques de Fous – le système s’engendre lui même – il s’auto développe
Tu es fou donc bon à enfermer – et quand on s’entend dire « tu es bon à enfermer », ça le fait déraper davantage
La structure enfle – les processus d’intolérance – la dimension de ces collectivités d’exclus, en soi même une perversion de l’esprit

Économie et santé
Le désir bureaucratique : une pensée tout à fait aliénée 120 000 personnes, non mais, ça va pas la tête ??
Sur la désocialisation des gens internés – les « beaux malades » – les beaux malades intéressants à étudier et qu’on peut montrer au public (les étudiants)
Les Asiles tournent et le rouage le plus opérant, c’est le bon malade, c’est ceux qui servent à faire marcher la machine
La position de KAPO – la bonne maladie c’est la maladie dont le sujet ne peut pas guérir
Sur Le Guillant : la plupart des malades qui étaient sortis en 1944″ par le vent » de la guerre, avaient trouvé leur place dehors

La capitale était une très haute productrice d’aliénés – le Marais
Haussmann et la problématique des Fous – Girard de Cailleux – le projet Haussmann de Cailleux a été sacqué…
Avec les inspecteurs aliénistes de ce temps, le « Marché aux esclaves » s’est conclu en essayent de gagner à bas prix de journée l’envoi de malades parisiens en Province (…) un train de Folles ; le choix des malades à expatrier
Mademoiselle Boyer – « quand je donne mon chien », le texte « j’ai vu partir un convoi d’aliénés »
Il n’y avait qu’à envoyer les malades ailleurs, et alors la tragédie du choix des malades qu’on envoyait … Comment se faisaient les choix ! – on appelait ça le Marché aux esclaves
Le plus bas prix de journée = le plus bas prix de service
Un sénateur avait construit un espèce de poulailler incroyable

À la Libération on a envoyé démanteler ces réseaux, c’étaient des réseaux de pouvoir !
Des gens qui pouvaient monter des coups pareils avec les politiciens du cru
Le système reste ultraconservateur – le mouvement pour changer profondément le système reste très minoritaire – nous étions immensément minoritaires à tempêter contre cela

Haussmann – La bataille de sectorisation, un quadrillage bureaucratique dominant avec ses volontés de pouvoir sur un territoire
Les frontières tracées d’en haut sont imposées au détriment de toute rationalité

Et le Marché aux esclaves a été institué officiellement contre le plan Haussmann de Cailleux

La folie asilaire se parle dans l’instance elle même. »

Lucien Bonnafé 1991

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Sur les derniers témoins de la fin de l’Asile à l’institution de l’hôpital psychiatrique spécialisé

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L’émergence de la parole des infirmiers en psychiatrie à partir des années 1950

Henri Ruols, Alfred Roumieux, infirmiers, février 1990 1

« Ce que j’ai à dire est tellement dur
Je demandais d’être entendu
On aurait pu parler, était on entendu ?
La violence
Les thérapies de choc
La Cure de Sakel, injections d’insuline
La Tuberculine, le maternage
L’huile soufrée
Mes parents
On ne peut pas dire qu’on s’habitue
Les gâteux
Les cellules, les gens attachés
Les portes qui se sont ouvertes
L’arrivée des neuroleptiques
J’ai commencé ici comme gardien d’Asile
On comptait tout, les patients, les fourchettes
Ce qu’était un pavillon fermé
Sivadon
Ici, après 8 h, on se retourne et on ne voit rien
J’ai parfois donné ma clé à une patiente pour qu’elle fasse sa toilette tranquille, donner sa clé était formellement interdit
Un architecte qui construit un hôpital psychiatrique, il faudrait déjà qu’il fasse un stage comme malade, puis comme infirmier, puis comme médecin
Pour certains patients, je les préférais agressifs que ensuqués, ils perdaient leur personnalité

J’ai pris des médicaments pour gagner la confiance d’un malade
J’étais « bistrothérapeute »
passage de Maud Mannoni, je lui ai demandé de sortir.
La cellule, pour moi c’était un outil
« monsieur l’infirmier, enfermez moi ! »
Pour moi, je préfèrerai la camisole chimique
La souffrance – un éternel débat avec les médicaments
On a été très souvent fascinés par les médicaments
Essayer de comprendre, de voir ce qui se passait
Il y avait une violence constante qui bloquait les gens
On a roulé par terre et on s’est battus
Personnellement, on en a vu souffrir des gens, qui s’accrochaient à nous et nous disaient « faites quelque chose ! »
Des gens faisaient « une carrière de malade » …
Des malades s’inquiétaient de notre santé
« C’est un malade que je connais depuis bientôt 30 ans »
J’ai vu des malades me trouver et me parler
Il y avait un espèce de renversement des rôles
On trouve toujours dans notre histoire des gens qui ont voulu changer les choses

La surveillance de nuit était très angoissante
Le Mouchard toutes les demi heure
Dans un pavillon fermé, les malades participent à diverses activités
Les draps …
Il manquait 10 draps, j’étais écroulé …
L’arrivée des malades aux bains centraux, les « Entrants » …
Tous les malades passaient aux bains, ils étaient nus … une fous secs ils enfilaient la tenue asilaire, puis nous faisions l’inventaire de leurs affaires
Les affaires personnelles des malades partaient au vestiaire central…
Bien sûr qu’il y avait des réactions
On a connu des situation très difficiles, très émouvantes, mais on a toujours vécu dans une orientation d’humanisation
La chronicité, d’un côté comme de l’autre, des infirmiers ne voulaient rien changer.

février 1990 2

Se sentir responsable de la vie et de la mort de quelqu’un
Le bruit du vent dans les peupliers
Revenir au pavillon et se dire : il s’est suicidé … ou : il a fait un coup dur !
Je me souviens d’un malade…
Le bord du canal … il était tapi dans un buisson
On était responsables
Il y avait le costume hiver, le costume été
L’arrivée du malade … on leur enlevait même les lunettes … alliance tout …
En placement d’office, on leut enlevait tout systématiquement
Quand on faisait mettre ces gens à poil sous ces douches, et qu’on leur tendait la tenue asilaire …
Ils étaient contraints de la mettre
J’ai pris des initiatives que je ne peux pas raconter
Le malade qui n’est plus « intéressant » pour la clinique privée
Jamais leur dire ce qu’ils avaient
Jamais prononcer le mot de « Fou »
Notre travail, notre point de vue, et le devoir
Je mangeais très volontiers dans la vaisselle des patients – Moi je ne l’ai pas fait
La misère culturelle des infirmiers
La radio dans une cage
Le mobilier scellé au sol
Nous avons fait venir Aldo Ciccolini
Il a attaqué une sonate de Mozart … le silence a suivi aux bruits
L’indifférence totale de nos responsables
En psychiatrie, tous les morceaux sont bons, il suffit de savoir les accommoder (…)
Une jeune femme qui avait voulu se suicider
Je me permettais de lui mettre une paire de claque etc … « vous entretenez des relations masochistes … »
J’ai fait une psychiatrie instinctive, je n’ai pas été aidé
J’ai eu surtout des problèmes avec les psychiatres
La sectorisation – rien ne peut changer si la société ne sort pas d’une attitude de peur
L’exclusion est au coeur de notre travail
« Ils ont osé »
Le psychiatre qui a construit un mur autour de sa maison… »

Il existe environ 10 h de rushs filmés en Hi8,
35 h de film sur support pellicule à numériser,
environ 120 h d’entretiens audio

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photographies droits réservés Bertrand de Solliers Paule Muxel © 1988 à 1992.